Empruntons à Monsieur A. Cahen une description qui ouvre à l'amateur du livre liégeois des perspectives inédites.
« Les rangs de casses occupent la place la plus éclairée près des fenêtres ; un typographe présente aux visiteurs un composteur dans lequel sont placées les lettres qui vont servir à la composition. À gauche, un ouvrier frappe avec un maillet sur les lettres fixées dans un châssis afin de les mettre à la même hauteur. Sur le mur de droite et sur le montant de la fenêtre, des placards annoncent une série d'éditions : l'Histoire des deux Indes par Raynal, l'Histoire Naturelle par Buffon, le Recueil des édits de Joseph II et L'Antiquité dévoilée par ses usages par Nicolas-Antoine Boulanger ».
Il faut particulièrement savoir gré à l'auteur du catalogue d'avoir déchiffré la référence à ce dernier titre. La manière dont Defrance le mentionne défie la lecture. Le placard en question surmonte un des deux ouvriers que l'on voit tournant le dos vers le mur du fond. La mention n'est pas seulement incomplète, mais affligée d'une déchirure et quasi effacée, du moins dans la reproduction communiquée.
On n'entreprendra pas ici l'enquête concernant une possible édition, par Plomteux, de l'Antiquité dévoilée par ses usages, un ouvrage éminemment provocateur résultant de la collaboration de Nicolas-Antoine Boulanger et du matérialiste baron d'Holbach. On se bornera à signaler une curiosité bibliographique touchant au catalogue commun de la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque de l'Arsenal. Celui-ci a oublié de ranger avec les différentes impressions de l'Antiquité dévoilée une édition enregistrée sous le titre d'Antiquité dévoilé (sic), alors que l'ouvrage de l'Arsenal coté 8- T- 10365 (1-4), en quatre volumes de 1775, sous l'adresse d'Amsterdam de Marc-Michel Rey (peut-être fausse), comporte bien au titre la mention L'antiquité dévoilée. Chacun le sait : une seule lettre vous manque, en informatique, et tout est dérangé.
À droite du placard qu'on vient d'évoquer, un autre fait problème. Ce qu'on croit pouvoir lire "LE... PO.. AUX BLEDS" - renverrait à un texte de Sébastien Mercier, auteur très populaire, précurseur du drame réaliste : Le philosophe du port au bled. On ne conçoit pas bien, cependant, pour quelle raison Defrance fait un sort à ce bref mais magnifique opuscule d'une quinzaine de pages, composé à l'occasion de la naissance, le 22 octobre 1781, de Louis de France, fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette. La disparition prématurée de celui-ci en juin 1789, éclipsée par la tenue des États généraux, allait promouvoir son cadet, le futur Louis XVII, au rang de dauphin.
Le texte de Mercier répond en quelque sorte à la littérature qui célèbre avec enthousiasme la naissance de Louis de France. Scandant l'expression qui saluait le constat de santé du nouveau-né – Il pleure... l'enfant royal – Mercier déroule le tableau de tout ce qui sera fait pour égarer le futur souverain et le détourner d'une gouvernance visant le bien public, au risque de lui faire verser d'autres larmes2... La naissance du dauphin, en effet, ne fut pas uniformément accueillie dans la joie par une population où grondaient des récriminations qui allaient bientôt produire l'ébranlement final. Mercier en profite pour se moquer des auteurs ayant fourni au Journal de Paris la floraison de poèmes en moelle de sureau qui saluèrent l'événement. La feuille quotidienne – la première du genre dans l'histoire de la presse française – avait sans surprise refusé d'imprimer une mise en garde qui tenait autant de la mise en cause du régime. « Il a fallu », explique Mercier dans un Avertissement, « recourir à une typographie plus indulgente que celle du Journal de Paris, si sévère aux pauvres gens. On prie donc instamment les lecteurs de considérer ce morceau comme supplément nécessaire à la feuille du 23 octobre 1781... ».