Les ouvrages sur le phénomène migratoire ne manquent guère – il y en a même pour tous les goûts, de l'étude objective au pamphlet en passant par les approches historique ou économique. Voici pourtant un livre qui mérite de retenir l’attention. L’ouvrage de M. Vandecandelaere, historien de formation, s’attache à décrire les différentes communautés d’origine étrangère que l’on peut rencontrer aujourd'hui si l'on flâne à Bruxelles.
L’originalité et l'intérêt du propos tient tant au sujet qu'à la vision kaléidoscopique de l’ouvrage. Original, le propos l'est certainement. Plutôt que de se concentrer sur une période donnée de l'histoire des migrations ou de privilégier la migration d'une partie donnée du globe, M. Vandecandelaere s'attache à raconter l'histoire de tous les parcours migratoires qui ont abouti à Bruxelles au cours du siècle dernier. Pour chacune des 40 communautés qu'il aborde, l'auteur pose le décor en retraçant le trajet migratoire et le contexte (économique) du pays d’origine. Il dessine aussi la cartographie des lieux d’arrivée à Bruxelles des membres de la communauté pour évoquer ensuite les suites de l'installation et notamment la perte de l'esprit de retour qui intervient souvent à partir de la deuxième génération.
Ce faisant, l'auteur brosse un portrait monumental qui brasse aussi bien les trajets migratoires connus, comme le sont ceux de la communauté italienne ou marocaine, que des histoires jusqu'ici peu racontées – l'on pense au chapitre sur les expatriés américains, aux pages consacrées à l'immigration en provenance de certains pays d'Asie ou encore à l'approche très fine des différents courants migratoires venus d'Afrique. L'intérêt de cette approche pour le moins ambitieuse est de montrer la diversité du phénomène migratoire, loin du cliché des seuls traines misère à la recherche d'un avenir meilleur.
À cette perspective très large, l'auteur combine une méthode qui mélange sans complexe l'approche historique, l'économie, la sociologie, l'urbanisme et même la psychologie. Ce mélange très riche fait la force de l'ouvrage parce qu'il permet de mieux rendre compte du phénomène migratoire et de sa complexité. Inévitablement, il entraîne une certaine dilution du propos, l'auteur devant se contenter à de nombreuses reprises d'effleurer une question dont il pressent qu'elle pourrait le mener beaucoup plus loin. L'ouvrage est néanmoins très agréable à lire. La narration combine les données générales, appuyées largement par des chiffres, avec la description de trajectoires individuelles – l'auteur a rencontré de nombreuses personnes au fil de ses pérégrinations dans les rues de Bruxelles. Ces témoignages sont d'autant plus intéressants qu'ils portent souvent sur des individus de la première génération. Le résultat est un mélange entre la monographie munie d'un appareil de références et de notes bien fournies et le travail du journaliste de terrain qui rend compte de la réalité au travers d'entretiens et de son approche subjective.
Au total, le propos de M. Vandecandelaere ne repose pas sur un agenda politique. S'il adopte une vision bienveillante du phénomène migratoire, l'ouvrage n'est pas celui d'un militant, mais bien d'un observateur avisé et curieux qui tente de décrire ce qu'une observation très fine et très ouverte du terrain lui a permis d'appréhender. Si l'on peut regretter que M. Vandecandelaere n'ait pas identifié ce qui fait la spécificité de Bruxelles par rapport à d'autres capitales européennes, son ouvrage fera date et constitue un passage obligé pour toute personne qui s'intéresse au phénomène migratoire qui a si fondamentalement modifié nos cités.
Patrick Wautelet
Juin 2013
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