Il y a des dieux est un livre qui, tout en ayant comme thématique principale les religions anciennes et contemporaines, s’offre également comme une réflexion sur l’existence humaine et sur les énergies et les valeurs qui la régissent.
Ce livre de la philosophe et anthropologue des religions Frédérique Ildefonse associe en fait une grande érudition à un ton tout à fait intimiste ; les thématiques abordées relèvent également de ce double registre : le polythéisme, tant le polythéisme vivant – pensons au candomblé brésilien – que le polythéisme antique grec, est mis en rapport étroit avec la polyphonie psychique et la richesse de nos investissements existentiels.
Selon Ildefonse, le polythéisme ne s’oppose pas au monothéisme seulement du point de vue des pratiques religieuses, mais surtout aux plans psychique et existentiel : si le monothéisme impose la foi, associée à un dieu absent, au contraire le polythéisme ne se questionne pas sur l’existence des dieux avec lesquels il rentre en contact au travers du rituel. Dans cet ouvrage, il s’agit surtout de la relation entre rituel et sens : s’il y a rituel la question harcelante du sens de nos vies ne se pose pas : « le rituel draine quelque chose qui, lorsqu’elle n’est pas drainée, produit la question du sens comme un calvaire ». Le rituel – ainsi que la répétition qui lui est consubstantielle –, permet d’« opérer » des choses sans les comprendre, ce qui nous libère de la tyrannie du faire sens et du donner sens. Le rituel dans le régime du polythéisme concerne notamment la prise de distance vis-à-vis de nous-mêmes, une libération de la charge de notre toute-puissance qui nous écraserait si on ne la déposait pas au profit d’une multiplicité d’instances (les dieux) et de ce que nous ne savons pas et qui ne dépend pas de nous – ce que Ildefonse appelle « un don d’incompréhensible », une sorte de « sacré ».
Cet ouvrage à mi chemin entre l’essai, le récit et le journal intime, nous invite à penser à une autre façon de vivre, en concordance avec notre intériorité, qui est multiple et polyphonique. Comme le rituel nous apprend à composer avec l’inconnu, l’ouverture vers ce que nous ne pouvons pas contrôler dans notre existence et vers le changement nous permettrait de nous libérer du danger de l’identification de nous-mêmes à nos états et du « faire un » avec nous-mêmes.
Maria Giulia Dondero
Juin 2013
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