Enrique Vila-Matas - Chet Baker pense à son art

chetPeut-on aimer à la fois le Joyce de Finnegan’s Wake et le Simenon de Monsieur Hire, l’écrivain radical qui triture le langage et le « réaliste » qui raconte la bourgeoisie ? Et que révèle ce goût paradoxal, partagé entre les « écrivains prétentieux » et leurs « jumeaux idiots », de l’être même de la littérature, de son rapport au réel ? Voilà les questions ambitieuses qui animent la réflexion nocturne d’un narrateur – Vila-Matas lui-même ? –, enfermé dans une chambre turinoise et lancé, à la fois perplexe et plein d’espoir, dans la rédaction d’une « fiction critique », genre nouveau où il s’agirait de parler de littérature tout en en faisant, et de parler de soi par la même occasion. Car Enrique Vila-Matas est de ces écrivains qui ne cessent de multiplier les masques sous lesquels le réel se dérobe toujours.

Entraînés avec l’auteur dans un labyrinthe dont plus personne n’a la carte, on en ressort pris de vertige, comme hanté et contaminé par l’imaginaire de ce narrateur et des figures qu’il convoque et qui, prises entre Joyce et Simenon, allant de Barthes à Beckett, en passant par le petit Vila-Matas lui-même, nous renvoient autant de visages de la littérature. Les photographies qui parsèment le livre achèvent d’en faire un objet insaisissable, dans lequel il faut accepter de se perdre, et qui donne envie de lire, c’est-à-dire de vivre plusieurs vies.

François Provenzano
Juin 2013

Enrique Vila-Matas, Chet Baker pense à son art, Mercure de France (traduit de l'espagnol par André Gabastou), 2011

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