« Mon conseil à tous : venez au monde ». C’est ainsi que s’intitule le second chapitre d’un livre que je n’aurais jamais lu s’il me m’avait été conseillé par une amie de confiance : Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Le titre sentait le parfum trop sucré de ces abominables manuels de développement personnel. Mais j’ai suivi le conseil. Et j’ai découvert un roman, une autobiographie plutôt, une autobiographie magique et fabulatoire, un exercice de la pensée et de la poésie contre le malheur, une ode à la vie et à la littérature : « la fiction et la poésie, écrit l’auteure, sont des médicaments, des remèdes. Elle guérissent l’entaille pratiquée par la réalité sur l’imagination » (P. 57)
Tout commence par son adoption, à Manchester, en 1960. Madame et Monsieur Winterson l’ont choisie. Ils n’ont pas tardé à le regretter. « Je n’ai cessé de hurler jusqu’à l’âge de deux ans (…) Cela me donnait un pouvoir étrange tout en me mettant dans une position particulièrement vulnérable (…) Les bébés font peur – des tyrans inexpérimentés qui n’ont que leur corps pour royaume ». Madame Winterson n’aimait pas la vie, le monde n’est, disait-elle, qu’une « une poubelle cosmique ». Inquiétude de l’enfant : le couvercle est-il ouvert ou fermé ? Fermé répond la mère. La vie de Jeannette Winterson sera le pari du contraire. Elle cherchera le bonheur, avec humour, avec opiniâtreté, avec les livres, avec l’amour aussi. Mais pas celui qu’il aurait fallu. « Ce que vous cherchez est un sens – une vie qui a du sens. (…) Cela demandera beaucoup d’énergie. Il y a aura des moments si terribles que vous y survivrez à peine, et d’autres où vous comprendrez que le gouffre que vous vous êtes choisi vaut mieux que l’existence factice, en demi-teinte, qu’on a choisie pour vous. Cette recherche ne se réduit pas au tout ou rien – c’est tout ET rien. Comme dans les récits de quête » (P. 36).
Vinciane Despret
Juin 2013
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