Les raffinements de Versailles

Avant l’arrivée des convives, le maître d’hôtel et le sommelier préparent la salle à manger. Ils installent le buffet, ainsi que les cuvettes d’eau et de glace pour les vins qui se boivent frais. Ils dressent une table ovale lorsque l’assemblée est importante. Ils dirigent le tranchant du couteau vers l’assiette et le creux des cuillères vers le bas. La serviette est pliée et placée dans l’assiette. Ils préparent également les corbeilles de fruits et les salades.

8. Plan de table La Chapelle
Lorsque le plan de table est établi, il ne change pas entre le premier et le deuxième service. Cette table pour douze à quinze couverts accueille le menu de Vincent la Chapelle (Le cuisinier moderne) que voici :

Pour le milieu :
-       1 quartier de veau en crêpine
2 pots à oilles, pour les deux bouts :
-       1 A la jambe de bois
-       1 Au ris, coulis d’ecrevices
Quatre entrées :
-       1 de poulets à la montmorenci
-       1 de perdreaux à l’espagnole
-       1 de cannetons au jus d’orange
-       1 de pigeons à la d’Huxelles
Huit hors-d’œuvres :
-       1 de filets de poulardes au blanc
-       1 de côtelettes de mouton glacées à la chicorée
-       1 de noix de veau glacée au celeri
-       1 de petits pâtés à l’espagnol
-       1 de popiettes à l’italienne
-       1 de hachis de poulardes, à l’angloise
-       1 de filets de soles au vin de champagne
-       1 d’anguilles glacées, sausse à l’italienne dessous
Relevez les deux pots à oilles :
-       1 de turbot glacé
-       1 de hure de saumon bouillie, à la hollandoise
-       Sausse blanche avec des grenades
 
Entremets :
-       1 jambon à la broche pour le milieu
Pour les deux bouts de la table :
-       1 de gâteau de Savoie.
-       1 de gâteau de mille feuilles
Quatre plats de rôtis :
-       1 de dindons
-       1 de poulardes
-       1 de perdreaux
-       1 de petits pigeons en ortolans
Quatre salades & deux sausses
Dix petits entremêts chauds, pour relever les sausses, salades & rôt :
-       1 d’écrevices à l’italienne
-       1 de ris de veau à la dauphine
-       1 d’artichaut à l’italienne
-       1 de petits pois
-       1 d’alimelles
-       1 de canapée
-       1 de crêtes
-       1 de langues de canards
-       1 de peaux d’Espagne
-       1 d’œufs au jus

Lorsque les convives sont installés, le maître d’hôtel entre en salle, serviette blanche sur l’épaule et l’épée au côté. Il est à la tête d’une file de serviteurs qui amènent les potages, les entrées et les hors-d’œuvre du premier service. Ils les disposent à table conformément au plan établi par le maître d’hôtel. Tels les jardins de Le Nôtre, le plan de table doit être parfaitement symétrique. La grosse entrée, un quartier de veau en crépine par exemple, se place au centre de la table. Aux deux extrémités, sont déposés les potages avec, par exemple, un coulis d’écrevisses. Quatre petites entrées se situent aux quatre coins de la table. Il peut s’agir de n’importe quels viande ou poisson en tourte, en pâté, rôtis, grillés, mitonnés avec du pain ou bouillis. Dans les entrées, les légumes ne jouent qu’un rôle secondaire. On peut également y trouver des aliments crus, comme des huîtres ou du melon.

Les hors-d’œuvre sont une nouveauté apparue dans la deuxième moitié du 17e siècle. Il s’agit de petits mets agréables à manger, mais non indispensables au bon déroulement du repas. On peut y trouver, par exemple, des petits pâtés, des paupiettes, des filets de sole au champagne ou des anguilles glacées.

Lorsque les deux potages sont consommés, le maître d’hôtel fait remplacer les deux grands plats qui se situent aux extrémités de la table par les deux relevés, à savoir des grosses pièces de poisson ou de viande cuites en milieu humide et destinées à remplacer les potages au cours du premier service.

Le premier service ne peut excéder 20 minutes. Au delà, on considère que les convives commencent à s’ennuyer. S’ensuivent les mets du deuxième service qui sont disposés selon le même plan que ceux du premier service, symétrie oblige ! Les rôtis, pièces maîtresses du repas, se composent essentiellement de volailles et de gibiers à plumes. Ils sont accompagnés de salades et d’entremets. Ces derniers sont extrêmement variés. Ils peuvent se composer d'abats, de grosses viandes, de volailles, de gibiers à plume ou à poil, d'œufs, de légumes, de viandes froides, de fritures, de beignets, de gelées, de crèmes, de pâtés et de tourtes froides, ainsi que de tartes de toutes sortes et de gâteaux. On le voit, au deuxième service, le sucré côtoie encore le salé. Néanmoins, on mange d’abord les rôtis et les entremets salés, avant de passer aux gâteaux sucrés qui closent le deuxième service.

Au bout d’une vingtaine de minutes, on ôte tout ce qui se trouve sur la table afin de faire place nette pour le dessert, qu’on appelle également le fruit. C’est le troisième et dernier service du repas. Il s’agit essentiellement de confiture, de compotes, de préparations à base de chocolat ou de glaces. Ces mets sont préparés à l’office, qui est indépendant des cuisines. Le dessert peut être très richement décoré avec des pièces en pastillage ou en sucre filé représentant des temples ou des fontaines.

Comme nous pouvons le constater, la grande cuisine française, outrancière et particulièrement ruineuse, est parfaitement adaptée au mode de vie de la cour où l’apparat occupe une place fondamentale, même lors de repas intimes. La révolution et le règne de la bourgeoisie changeront complètement la donne au cours du 19e siècle…

Pierre Leclercq
Juin 2013

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie, collaborateur de l'ULg. Ses recherches doctorales portent sur la gastronomie au temps de Lancelot de Casteau. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.

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