Héritier de la pensée bourdieusienne et spécialiste de la question gay, Didier Eribon revient ici sur sa propre trajectoire. Ce texte étant tout sauf une autocélébration, il ne s’agit pas de montrer comment un provincial issu d’un milieu modeste est parvenu à s’imposer comme un intellectuel renommé, couronné en 2008 par le Brudner Prize. Rappelant les meilleurs textes d’Annie Ernaux (La Place, La Honte), Eribon, dans un style lumineux, retrace l’histoire de sa famille, passée d’une adhésion communiste au vote FN et avec laquelle il a rompu, en articulant à ce récit des origines et de la rupture une réflexion brillante sur les mécanismes de domination qui sévissent dans la société contemporaine. Les passages marquants ne manquent pas, à l’image de celui-ci, qu’il vaut mieux citer : « Je fus stupéfait, il y a peu, d’apprendre que, me voyant un jour dans une émission de télévision, [mon père] s’était mis à pleurer, submergé par l’émotion. Constater qu’un de ses fils avait atteint à ce qui représentait à ses yeux une réussite sociale à peine imaginable l’avait bouleversé. Il était prêt, lui que j’avais connu si homophobe, à braver le lendemain le regard des voisins et des habitants du village et même à défendre en cas de besoin, ce qu’il considérait comme son honneur et celui de sa famille. Je présentais, ce soir-là, mon livre Réflexions sur la question gay, et, redoutant les commentaires et les sarcasmes que cela pourrait déclencher, il avait déclaré à ma mère : “Si quelqu’un me fait une remarque, je lui fous mon poing sur la gueule.” »
Denis Saint-Amand
Juin 2013
Retour à la liste des essais et documents
Retour aux Lectures pour l'été 2013