Il est bien étrange de voir Guillaume Tell plaisanter avec Gessler, a fortiori quand celui-ci entoure les épaules deMme Tell. On l’imagine plutôt lui décocher un carreau d’arbalète en plein cœur. C’est pourtant la scène à laquelle nous assistons, dans la foyer, un peu froid, de l’ORW. Anne-Catherine Gillet, Marc Laho et Lionel Lhote nous ont accordé une heure d’interview, entre deux répétitions. Entrevue ponctuée d'éclats de rire. De remarques plus sérieuses aussi. Bienvenue en suisse mosane.
Bien différents des chanteurs stars – qui, de leur avis, tendent à disparaître –, les trois solistes créent dès le début l’ambiance décontractée, alternant grands éclats de rire et critiques faussement méchantes entre eux. C'est la première fois qu'ils participent tous les trois ensemble à une même production, mais ils se connaissent l'un l'autre par d'autres opéras. Tous trois aiment chanter à Liège et espèrent que le public partagera leur joie.
Comme les autres artistes de cette saison, les chanteurs soulignent d'abord la qualité de la rénovation de la salle. L’acoustique est transformée : « on s’entend chanter » témoigne Marc Laho. Et la machinerie devient impressionnante. Toutefois, ce n’est pas elle qu’on verra le plus. Voulant « reproduire un théâtre dans un théâtre », « ne pas cacher les ficelles », le metteur en scène, Stefano Mazzonis a choisi de reproduire une machinerie à l’ancienne, faite de cordes et de palans. Pour un effet un peu burlesque, qui devrait être largement renforcé par la déclamation exagérément accentuée qui est demandée aux chanteurs.
Pourtant, de burlesque il n’en est guère question dans l’œuvre. « Guillaume Tell est un héros national et c’est une joie d’incarner un personnage que l’on a connu enfant. La manière dont le livret est écrit semble toutefois plus enfantine que véritablement porteuse d’un message, d’un élan politique ou patriotique. Sauf peut-être dans le final, galvanisant la population en révolte sous le drapeau », confie Marc Laho. Plaisir partagé par Lionel Lhote, qui peut donner à son personnage de Gessler toute la méchanceté souhaitée. « C’est un vrai bonheur de pousser une gueulante. Ca fait du bien d’être utilisé un peu à contre emploi, à l’opposé des rôles que l’on me propose d’habitude » lance-t-il. L'infâme bailli impérial qu'il incarne est vraiment un rôle de composition. Car quelqu’un qui rit comme lui – Anne-Catherine Gillet le taquine d’ailleurs en évoquant ses grands éclats de rire que l’on entend bien dans les loges –ne peut être mauvais. «Son rire a même une vertu relaxante, déstressante», continue-t-elle.
Bien que le personnage légendaire soit archi-connu et que les œuvres de Grétry (comme de César Franck) fassent partie des passages obligés dans les conservatoires, les 3 chanteurs avouent qu'ils ne connaissaient pas ce court opéra. De leur avis, il a d’ailleurs assez mal vieilli : les parties parlées trahissent leur âge. Leur fort ancrage suisse – voulu ou non par Grétry ? – donne à l'œuvre un caractère quasi dialectal, qui rend le travail d'apprentissage plus long : il n’y a aucune référence dont ils peuvent s’inspirer. Anne-Catherine Gillet parlera de « l’absence de couleur toute prête ». Mais cette absence de référence peut aussi être considérée comme un avantage, « quelque chose de nu à habiller. Un travail personnel » résumera Marc Laho. Le travail avec le metteur en scène s’en trouve chamboulé : il a commencé par les répétitions des dialogues, ce qui a permis de créer des liens dès le début, entre tous les chanteurs et en a renforcé la cohésion. L’inconvénient est que ce travail préalable prend du temps : à dix jours des générales, les artistes commençaient seulement à y voir clair, à entrevoir quel serait le résultat final. Lionel Lhote rassure : « après avoir endossé nos costumes, notre évolution dans les personnages, et leur compréhension, sera tout à fait effective ».
En tout état de cause, ils ne semblent pas du tout avoir hésité à se lancer dans la création, heureux de se frotter à de nouvelles expériences, d'élargir leur horizon, de découvrir une œuvre inédite. La distribution belgo-belge, et son indéniable humour si typique, n’y est sans doute pas étrangère à leur enthousiasme. Humour qui colle parfaitement à la mise en scène surréaliste et « second degré » voulue par Stefano Mazzonis.
Les artistes manifestent toutefois certaines craintes quant à la compréhension de ce parti-pris par le public. « Il s’agit en effet d’une (re)création mondiale, des journalistes internationaux seront présents aux représentations, il s’agira de ne pas les perdre, ni les décevoir ». Marc Laho n'est pas inquiet : « Sur scène, les questions de compréhension par le public disparaissent. La magie du spectacle fera que tout fonctionnera très bien ! » La réussite de la production dépendra grandement des chanteurs car une grande liberté d'improvisation leur est laissée, pour habiller l’idée de base de Mazzonis. Le cadre est très peu coercitif, ce qui requiert un investissement plus important que pour une direction « carrée » proposée par d'autres maisons d'opéra, plus «confortable» à suivre. Il est fait ici appel à leur talent d’acteur, mais aussi à leurs impressions sur le jeu des autres, pour approuver ou non une initiative. Il y a une autodiscipline, basée sur un œil extérieur et critique, qu'il doivent s’imposer. D’autant plus que la composition de l’œuvre, avec un chœur très nombreux et présent, ne simplifie pas ce travail. À plus forte raison dans cette « œuvre chorale », où il n’existe pas vraiment de grand rôle mis beaucoup plus en avant que les autres, ce qui encourage la coopération, l’échange entre les artistes.
Marc-Henri Bawin et Samuel Namotte
Juin 2013
Marc-Henri Bawin est étudiant en 2e année de master en Arts et Sciences de la Communication, finalité Journalisme.
Samuel Namotte est étudiant en 2e année de master en Langues et Littératures romanes.
Photos © ORW Jacky Croisier