Guillaume Tell de Grétry, un côté gag sérieusement dramatique
C’est sous la conduite experte du Maestro Claudio Scimone que résonnera la première production de l’époque moderne du Guillaume Tell de Grétry. Une nouvelle création – ou recréation – à l’actif du chef italien, et un retour enthousiaste à l'opéra de Liège, où il a dirigé, en 2010, Rita ou le mari battu et Il Campanello di notte de Donizetti, tandis que son premier passage à Liège avec I solisti veneti date de… 1961 !« L’opéra de Liège m'offre une ambiance de travail idéale. Il y a une telle motivation ! Le chœur, l’orchestre, le personnel technique, les ouvriers… Et puisqu’un théâtre ne peut être bien différent de la ville où il se situe, j’ai aussi beaucoup de considération pour la ville elle-même ».
On le sait, Claudio Scimone est un habitué des inédits. Après avoir notamment donné les premières versions modernes des œuvres rossiniennes Mose in Egitto et Maometto II, dont il a reconstruit un quart de la partition, il s’attaque désormais à la première version avec mise en scène de Guillaume Tell de Grétry. Le travail de reconstruction est moindre car la partition a été gravée à l’époque. Néanmoins, l’on a retrouvé une réduction pour piano et voix vraisemblablement postérieure à l’œuvre, dont l’étude offre de nombreuses idées et indications interprétatives.
Genèse de cette production
D’aucuns s’étonneront de voir à la baguette un chef italien quand on sait combien le compositeur liégeois est oublié au pays de Verdi. C’est pourtant de Claudio Scimone lui-même qu’émane l’idée de monter Guillaume Tell. En effet, alors qu’il travaillait en 1991 à la mise en place d’une collaboration – qui ne verra jamais le jour – entre l’ORW et l’Opéra-comique de Paris pour produire L’Amant jaloux, il découvre la partition de Guillaume Tell qu’il juge de grande qualité, tant musicalement que pour son livret, et d’une grande intensité dramatique. Présent à Liège en 2009 pour diriger les deux opéras-bouffes de Donizetti, il propose alors le projet au directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera, qui choisit de programmer l’œuvre à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la mort de Grétry et d’en confier les rênes au Maestro.
Stefano Mazzonis (à gauche) et Claudio ScimonePhoto ORW - jacky Croisier
Un opéra belge? Français? Italien ? Suisse ?
Avant d’entrer au conservatoire de Paris, Grétry travaille 5 ans à Rome et passe également par la Suisse où il donne son premier opéra. Pas étonnant dès lors de retrouver un caractère cosmopolite et de multiples influences dans sa musique. La partie vocale de Guillaume Tell se rapproche fort de la vogue parisienne de l’époque, tandis que l’orchestration rappelle clairement l’école instrumentale de Corelli. Une grande place est laissée aux cordes, pour lesquelles la partition requiert une réelle virtuosité. Grétry annote la partition en faisant notamment référence au Traité des agréments de la musique de Tartini (1692-1770). Ce qui fait dire au Maestro Scimone :
« Je me sens naturellement chez moi dans cet opus : musicalement par l’inspiration indéniablement italienne du langage instrumental, essentiellement constitué d’instruments à cordes. Mais il se révèle également très intéressant pour cet aspect très français de sa théâtralité, de son langage vocal. Cette double appartenance culturelle est d’une richesse incroyable ».
Et de citer Grimm :
« Le grand mérite de Grétry est d’avoir écrit du belcanto italien qui est typiquement français. C’est un style de belcanto avec une mélodie typiquement française ».
L’œuvre de Grétry pourrait presque être qualifiée d’œuvre « chorale ». En effet, l’interaction entre les personnages est constante, il n’y a pas de vrai premier rôle, et le chœur est mis en avant. Seuls Gessler (Lionel Lhote) et Madame Tell (Anne-Catherine Gillet) ont un vrai solo. Le personnage éponyme émerge néanmoins par sa centralité et sa continuelle présence.
« Tell domine sans avoir un seul air. Il s’impose, grâce aussi à la personnalité extraordinaire de Marc Laho »
Grétry et Rossini
Selon le maestro, les similitudes entre le Guillaume Tell de Grétry et de Rossini sont évidentes. Toutefois, le compositeur italien crée son Guillaume Tell près de 40 ans après celui de Grétry. Il semble avoir lu la partition du liégeois – mais cela reste indémontrable puisque aucun écrit n’en atteste –, et ses librettistes se sont vraisemblablement inspirés du livret de Sedaine. En témoignent le thème du début de l’œuvre de Grétry, repris dans le chœur final de Rossini, la présence commune du Ranz des vaches – un chant traditionnel suisse présentant ici des triolet caractéristiques et très rares –, la centralité du personnage de Guillaume Tell – nettement moins présent dans l’œuvre de Schiller – , et la clarté des deux livrets par rapport à la pièce du dramaturge romantique allemand. « On peut donc être persuadé que Rossini s’est inspiré du thème de Grétry comme il aimait le faire régulièrement, souvent guidé par une forme d’admiration pour l’œuvre citée », conclut le chef. Sans doute ce vraisemblable intérêt de Rossini n'est-il pas étranger à l'attirance du Maestro Scimone pour l'œuvre du liégeois.
3 actes, 3 moments musicaux…
L’œuvre est riche et particulièrement variée. « Il y a trois opéra ensemble », résume le chef.
Le spectacle s’ouvre sur une fête populaire suisse. L’on y entendra des airs de liesse et de joie qui ne seront pas sans rappeler le célèbre Yodel. L’expérience suisse de Grétry fut bien sûr très profitable à la conformité culturelle de cette partie.
La musique gagnera rapidement en intensité dramatique lors de l’aveuglement de Melktal et de la condamnation de Guillaume Tell. Intensité dramatique encore renforcée par la malin plaisir que Gessler prend à la torture mentale qu’il impose au héros.
Enfin, nous entendrons des airs de triomphe après la conjuration et la révolte. Une structure qui échappera peut-être au spectateur puisque l’œuvre sera ici divisée en deux, afin de n’avoir qu’un seul entracte. Mais l’utilisation d’un cliffhanger, digne des séries hollywoodiennes, devrait vider le foyer bien plus vite qu’à l’habitude.
Un travail d’équipe et une vision commune
Le Maestro Claudio Scimone assure lui-même la direction de chaque répétition car, il le souligne, les intentions musicales doivent être en accord avec la mise en scène. Cela nécessite, en amont des répétitions, un travail de lecture, de concertation et de conciliation. Pour le Maestro, les répétitions que l’orchestre fait seul, sans mise en scène, sont les plus importantes. Elles lui permettent d’arriver au théâtre pleinement familiarisé à la musique, rôdé et, par ce fait, apte à accepter le plus simplement du monde la mise en scène. Par bonheur, à ses yeux, celle-ci « ne trahit en rien la musique. Contrairement à ce que l’on voit trop souvent où la mise en scène va à l’encontre de l’esprit du livret, voire de l’intention qu’y a mise le compositeur », se réjouit le chef. « Mr Mazzonis fait des mises en scène très belles et qui demeurent dans l’esprit de l’oeuvre. Il n’y a pas de transposition moderne qui n’aurait aucun sens. A fortiori lorsque les histoires sont très liées à une époque, et que leur déplacement dans le temps les rend absurdes, insensées voire incompréhensibles pour le public ». L’écueil de l’actualisation maladroite est ici évité, et la mise en scène « ne s'oppose pas à la musique et respecte particulièrement l’esprit du livret. Je pense que ce sera très réussi », conclut-il.
Écrite pour l’Opéra-comique, le Guillaume Tell de Grétry permet « un côté gag sérieusement dramatique ». La place laissée au burlesque est pour lui intrinsèque à l’œuvre, et la solennité sera par ailleurs rendue avec intensité et brio. Un brio et une rigueur où le chef et le metteur en scène se retrouvent et se complèteront parfaitement.
Marc-Henri Bawin et Samuel Namotte
Juin 2013
Marc-Henri Bawin est étudiant en 2e année de master en Arts et Sciences de la Communication, finalité Journalisme.
Samuel Namotte est étudiant en 2e année de master en Langues et Littératures romanes.
Guillaume Tell de Grétry, un côté gag sérieusement dramatique
Rencontre avec le Maestro Claudio Scimone
C’est sous la conduite experte du Maestro Claudio Scimone que résonnera la première mise en scène de l’époque moderne du Guillaume Tell de Grétry. Une nouvelle création – ou recréation – à l’actif du chef italien, et un retour enthousiaste en principauté après avoir dirigé, en 2010, Rita ou le mari battu et Il Campanello di notte de Donizetti, tandis que son premier passage à Liège avec I solisti veneti date de… 1961 !
« L’opéra de Liège constitue une ambiance idéale. Il y a une telle éducation ! Le chœur, l’orchestre, le personnel technique, les ouvriers… Et puisqu’un théâtre ne peut être une oasis, j’ai beaucoup de considération pour la ville elle-même ».
On le sait, Claudio Scimone est un habitué des inédits. Après avoir notamment donné les premières versions modernes des œuvres rossiniennes Mose in Egitto et Maometto II, dont il reconstruit un quart de la partition, il s’attaque désormais à la première version avec mise en scène de Guillaume Tell de Grétry. Le travail de reconstruction est moindre car la partition a été gravée à l’époque. Néanmoins, l’on a retrouvé une réduction pour piano et voix vraisemblablement postérieure à l’œuvre, dont l’étude offre de nombreuses idées et indications interprétatives.
Genèse de cette production
D’aucuns s’étonneront de voir à la baguette un chef italien quand on sait combien le compositeur liégeois est méconnu au pays de Verdi. C’est pourtant de Claudio Scimone lui-même qu’émane l’idée de monter Guillaume Tell. En effet, alors qu’il travaillait en 1991 à la mise en place d’une collaboration– qui ne verra jamais le jour – entre l’ORW et l’Opéra-comique de Paris pour produire L’Amant jaloux, il découvre la partition de Guillaume Tell qu’il juge de qualité, tant musicalement que pour son livret, et d’une grande intensité dramatique. Présent à Liège en 2009 pour diriger les deux opéras bouffes de Donizetti, il propose alors le projet au directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera, qui choisit de programmer l’œuvre à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la mort de Grétry et d’en confier les rênes au Maestro.
Un opéra belge? Français? Italien ? Suisse ?
Avant d’entrer au conservatoire de Paris, Grétry travaille 5 ans à Rome et passe également par la Suisse où il donne son premier opéra. Pas étonnant dès lors de retrouver un caractère cosmopolite et de multiples influences dans sa musique. La partie vocale de Guillaume Tell se rapproche fort de la vogue parisienne de l’époque, tandis que l’orchestration rappelle clairement l’école instrumentale de Corelli. Une grande place est laissée aux cordes, pour lesquelles la partition requiert une réelle virtuosité. Grétry annote la partition en référant notamment au Traité des agréments de la musique de Tartini (1692-1770). Ce qui fait dire au Maestro Scimone :
« Je me sens naturellement chez moi dans cet opus : musicalement par l’inspiration indéniablement italienne du langage instrumental, essentiellement constitué d’instruments à cordes. Mais il se révèle également très intéressant pour cet aspect très français de sa théâtralité, de son langage vocal. Cette double appartenance culturelle est d’une richesse incroyable ».
Et de citer Grimm :
« Le grand mérite de Grétry est d’avoir écrit du belcanto italien qui est typiquement français. C’est un style de belcanto avec une mélodie typiquement française ».
L’œuvre de Grétry pourrait presque être qualifiée d’œuvre « chorale ». En effet, l’interaction entre les personnages est constante, il n’y a pas de vrai premier rôle, et le chœur est mis en avant. Seuls Gessler (Lionel Lhote) et Madame Tell (Anne-Catherine Gillet) ont un vrai solo. Le personnage éponyme émerge néanmoins par sa centralité et sa continuelle présence.
« Tell domine sans avoir un seul air. Il s’impose, grâce aussi à la personnalité extraordinaire de Marc Laho »
Grétry et Rossini
Selon le maestro, les similitudes entre le Guillaume Tell de Grétry et de Rossini sont évidentes. Toutefois, le compositeur italien crée son Guillaume Tell près de 40 ans après celui de Grétry, et semble avoir lu la partition du liégeois - mais cela reste indémontrable puisque aucun écrit n’en atteste -, et ses librettistes se sont vraisemblablement inspirés du livret de Sedaine. En témoignent le thème du début de l’œuvre de Grétry, repris dans le chœur final de Rossini, la présence commune du Ranz des vaches - un chant traditionnel suisse présentant ici des triolet caractéristiques et très rares-, la centralité du personnage de Guillaume Tell - nettement moins présent dans l’œuvre de Schiller-, et la clarté des deux livrets par rapport à la pièce du dramaturge romantique allemand. «On peut donc être persuadé que Rossini s’est inspiré du thème de Grétry comme il aimait le faire régulièrement, souvent guidé par une forme d’admiration pour l’oeuvre citée», conclut le chef. Sans doute ce vraisemblable intérêt de Rossini n'est-il pas étranger l'attirance du Maestro Scimone pour l'oeuvre du liégeois.
3 actes, 3 moments musicaux…
L’œuvre est riche et particulièrement variée. «Il y a trois opéra ensemble», résume le chef.
Le spectacle s’ouvre sur une fête populaire suisse. L’on y entendra des airs de liesse et de joie qui ne seront pas sans rappeler le célèbre Yodel. L’expérience Suisse de Grétry fut bien sûr très profitable à la conformité culturelle de cette partie.
La musique gagnera rapidement en intensité dramatique lors de l’aveuglement de Melktal et de la condamnation de Guillaume Tell. Intensité dramatique encore renforcée par la malin plaisir que Gessler prend à la torture mentale qu’il impose au héros.
Enfin, nous entendrons des airs de triomphe après la conjuration et la révolte. Une structure qui échappera peut-être au spectateur puisque l’oeuvre sera ici divisée en deux, afin de n’avoir qu’un seul entracte. Mais l’utilisation d’un clifhanger, digne des séries hollywoodiennes, devrait vider le foyer bien plus vite qu’à l’habitude.
Un travail d’équipe et une vision commune
Le Maestro Claudio Scimone assure lui-même la direction de chaque répétition car, il le souligne, les intentions musicales doivent être en accord avec la mise en scène. Cela nécessite, en amont des répétitions, un travail de lecture, de concertation et de conciliation. Pour le Maestro, les répétitions que l’orchestre fait seul, sans mise en scène, sont les plus importantes. Elles lui permettent d’arriver au théâtre pleinement familiarisé à la musique, rôdé et, par ce fait, apte à accepter le plus simplement du monde la mise en scène. Par bonheur, à ses yeux, celle-ci «ne trahit en rien la musique. Contrairement à ce que l’on voit trop souvent où la mise en scène va à l’encontre de l’esprit du livret, voire de l’intention qu’y a mis le compositeur», se réjouit le chef. «Mr Mazzonis fait des mises en scène très belles et qui demeurent dans l’esprit de l’oeuvre. Il n’y a pas de transposition moderne qui n’aurait aucun sens. A fortiori lorsque les histoires sont très liées à une époque, et que leur déplacement dans le temps rend absurdes, insensées voire incompréhensibles pour le public». L’écueil de l’actualisation maladroite est ici évité, et la mise en scène « ne va pas contre la musique et respecte particulièrement l’esprit du livret. Je pense que ce sera très réussi », conclut-il.
Ecrite pour l’Opéra-comique, le Guillaume Tell de Grétry permet « un côté gag sérieusement dramatique ». La place laissée au burlesque est pour lui intrinsèque à l’œuvre, et la solennité sera par ailleurs rendue avec intensité et brio. Un brio et une rigueur où le chef et le metteur en scène se retrouvent et se complèteront parfaitement.
Marc-Henri Bawin et Samuel Namotte
Guillaume Tell de Grétry, un côté gag sérieusement dramatique
Rencontre avec le Maestro Claudio Scimone
C’est sous la conduite experte du Maestro Claudio Scimone que résonnera la première mise en scène de l’époque moderne du Guillaume Tell de Grétry. Une nouvelle création – ou recréation – à l’actif du chef italien, et un retour enthousiaste en principauté après avoir dirigé, en 2010, Rita ou le mari battu et Il Campanello di notte de Donizetti, tandis que son premier passage à Liège avec I solisti veneti date de… 1961 !
« L’opéra de Liège constitue une ambiance idéale. Il y a une telle éducation ! Le chœur, l’orchestre, le personnel technique, les ouvriers… Et puisqu’un théâtre ne peut être une oasis, j’ai beaucoup de considération pour la ville elle-même ».
On le sait, Claudio Scimone est un habitué des inédits. Après avoir notamment donné les premières versions modernes des œuvres rossiniennes Mose in Egitto et Maometto II, dont il reconstruit un quart de la partition, il s’attaque désormais à la première version avec mise en scène de Guillaume Tell de Grétry. Le travail de reconstruction est moindre car la partition a été gravée à l’époque. Néanmoins, l’on a retrouvé une réduction pour piano et voix vraisemblablement postérieure à l’œuvre, dont l’étude offre de nombreuses idées et indications interprétatives.
Genèse de cette production
D’aucuns s’étonneront de voir à la baguette un chef italien quand on sait combien le compositeur liégeois est méconnu au pays de Verdi. C’est pourtant de Claudio Scimone lui-même qu’émane l’idée de monter Guillaume Tell. En effet, alors qu’il travaillait en 1991 à la mise en place d’une collaboration– qui ne verra jamais le jour – entre l’ORW et l’Opéra-comique de Paris pour produire L’Amant jaloux, il découvre la partition de Guillaume Tell qu’il juge de qualité, tant musicalement que pour son livret, et d’une grande intensité dramatique. Présent à Liège en 2009 pour diriger les deux opéras bouffes de Donizetti, il propose alors le projet au directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera, qui choisit de programmer l’œuvre à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la mort de Grétry et d’en confier les rênes au Maestro.
Un opéra belge? Français? Italien ? Suisse ?
Avant d’entrer au conservatoire de Paris, Grétry travaille 5 ans à Rome et passe également par la Suisse où il donne son premier opéra. Pas étonnant dès lors de retrouver un caractère cosmopolite et de multiples influences dans sa musique. La partie vocale de Guillaume Tell se rapproche fort de la vogue parisienne de l’époque, tandis que l’orchestration rappelle clairement l’école instrumentale de Corelli. Une grande place est laissée aux cordes, pour lesquelles la partition requiert une réelle virtuosité. Grétry annote la partition en référant notamment au Traité des agréments de la musique de Tartini (1692-1770). Ce qui fait dire au Maestro Scimone :
« Je me sens naturellement chez moi dans cet opus : musicalement par l’inspiration indéniablement italienne du langage instrumental, essentiellement constitué d’instruments à cordes. Mais il se révèle également très intéressant pour cet aspect très français de sa théâtralité, de son langage vocal. Cette double appartenance culturelle est d’une richesse incroyable ».
Et de citer Grimm :
« Le grand mérite de Grétry est d’avoir écrit du belcanto italien qui est typiquement français. C’est un style de belcanto avec une mélodie typiquement française ».
L’œuvre de Grétry pourrait presque être qualifiée d’œuvre « chorale ». En effet, l’interaction entre les personnages est constante, il n’y a pas de vrai premier rôle, et le chœur est mis en avant. Seuls Gessler (Lionel Lhote) et Madame Tell (Anne-Catherine Gillet) ont un vrai solo. Le personnage éponyme émerge néanmoins par sa centralité et sa continuelle présence.
« Tell domine sans avoir un seul air. Il s’impose, grâce aussi à la personnalité extraordinaire de Marc Laho »
Grétry et Rossini
Selon le maestro, les similitudes entre le Guillaume Tell de Grétry et de Rossini sont évidentes. Toutefois, le compositeur italien crée son Guillaume Tell près de 40 ans après celui de Grétry, et semble avoir lu la partition du liégeois - mais cela reste indémontrable puisque aucun écrit n’en atteste -, et ses librettistes se sont vraisemblablement inspirés du livret de Sedaine. En témoignent le thème du début de l’œuvre de Grétry, repris dans le chœur final de Rossini, la présence commune du Ranz des vaches - un chant traditionnel suisse présentant ici des triolet caractéristiques et très rares-, la centralité du personnage de Guillaume Tell - nettement moins présent dans l’œuvre de Schiller-, et la clarté des deux livrets par rapport à la pièce du dramaturge romantique allemand. «On peut donc être persuadé que Rossini s’est inspiré du thème de Grétry comme il aimait le faire régulièrement, souvent guidé par une forme d’admiration pour l’oeuvre citée», conclut le chef. Sans doute ce vraisemblable intérêt de Rossini n'est-il pas étranger l'attirance du Maestro Scimone pour l'oeuvre du liégeois.
3 actes, 3 moments musicaux…
L’œuvre est riche et particulièrement variée. «Il y a trois opéra ensemble», résume le chef.
Le spectacle s’ouvre sur une fête populaire suisse. L’on y entendra des airs de liesse et de joie qui ne seront pas sans rappeler le célèbre Yodel. L’expérience Suisse de Grétry fut bien sûr très profitable à la conformité culturelle de cette partie.
La musique gagnera rapidement en intensité dramatique lors de l’aveuglement de Melktal et de la condamnation de Guillaume Tell. Intensité dramatique encore renforcée par la malin plaisir que Gessler prend à la torture mentale qu’il impose au héros.
Enfin, nous entendrons des airs de triomphe après la conjuration et la révolte. Une structure qui échappera peut-être au spectateur puisque l’oeuvre sera ici divisée en deux, afin de n’avoir qu’un seul entracte. Mais l’utilisation d’un clifhanger, digne des séries hollywoodiennes, devrait vider le foyer bien plus vite qu’à l’habitude.
Un travail d’équipe et une vision commune
Le Maestro Claudio Scimone assure lui-même la direction de chaque répétition car, il le souligne, les intentions musicales doivent être en accord avec la mise en scène. Cela nécessite, en amont des répétitions, un travail de lecture, de concertation et de conciliation. Pour le Maestro, les répétitions que l’orchestre fait seul, sans mise en scène, sont les plus importantes. Elles lui permettent d’arriver au théâtre pleinement familiarisé à la musique, rôdé et, par ce fait, apte à accepter le plus simplement du monde la mise en scène. Par bonheur, à ses yeux, celle-ci «ne trahit en rien la musique. Contrairement à ce que l’on voit trop souvent où la mise en scène va à l’encontre de l’esprit du livret, voire de l’intention qu’y a mis le compositeur», se réjouit le chef. «Mr Mazzonis fait des mises en scène très belles et qui demeurent dans l’esprit de l’oeuvre. Il n’y a pas de transposition moderne qui n’aurait aucun sens. A fortiori lorsque les histoires sont très liées à une époque, et que leur déplacement dans le temps rend absurdes, insensées voire incompréhensibles pour le public». L’écueil de l’actualisation maladroite est ici évité, et la mise en scène « ne va pas contre la musique et respecte particulièrement l’esprit du livret. Je pense que ce sera très réussi », conclut-il.
Ecrite pour l’Opéra-comique, le Guillaume Tell de Grétry permet « un côté gag sérieusement dramatique ». La place laissée au burlesque est pour lui intrinsèque à l’œuvre, et la solennité sera par ailleurs rendue avec intensité et brio. Un brio et une rigueur où le chef et le metteur en scène se retrouvent et se complèteront parfaitement.