Rencontre avec Stefano Mazzonis di Pralafera, metteur en scène

Que l’on ne s’y trompe pas, il s’agit bien du Guillaume Tell de André-Ernest-Modeste Grétry qui est présenté à l'opéra de Liège. L’occasion de célébrer un peu plus, avec une distribution 100% belge, le bicentenaire de la mort du compositeur, dont la statue invite le peuple liégeois à goûter, curieux, aux saveurs du théâtre royal.

L’occasion aussi, en cette fin de saison, de découvrir une œuvre méconnue du répertoire, voire même complètement oubliée. À sa création, elle était pourtant dotée d’une force politique et subversive propre à créer la polémique. En effet, Grétry, alors au service de Marie-Antoinette, écrit son Guillaume Tell peu avant la révolution française, mais il est contraint d’attendre que les troubles aient réellement éclaté pour faire jouer son œuvre, le 9 avril 1791, à la comédie italienne de Paris. Et pour cause, Guillaume Tell, héros légendaire s’il en est, n’en est pas moins le symbole de l’indépendance suisse, et ce n’est pas aux enfants de la Muette de Portici qu’il faut rappeler combien l’opéra peut – pouvait ? – soulever les consciences.

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Toutefois, malgré l’audace du sujet, l’œuvre n’est plus jamais jouée par la suite, ni alors, ni à l’époque moderne, à l’exception d’une version concert il y a un peu plus de vingt ans, à l’Opéra-Comique. Avec très peu de succès d’ailleurs.

Nous étions donc impatients de découvrir quelle serait l’approche proposée pour cette production inédite. L’œuvre, « un petit bijou » selon Stefano Mazzonis, comporte un tiers de texte parlé et deux tiers de musique. Néanmoins le livret du tragédien Sedaine apparaît aujourd’hui pompeux et solennel. Aussi était-ce une gageure de le rendre attractif et plaisant pour le spectateur du 21e siècle.

Humour et second degré

C’est bien à coup d’autodérision et de second degré que l’ORW compte relever ce défi ardu. Les costumes réfèrent à une Suisse légendaire, mais le décor est un théâtre qui renvoie à l’époque de Grétry. La machinerie dudit théâtre est apparente, cordes et poulies sont manipulées par des machinistes habillés en marin – à l’instar des premiers machinistes, des marins bretons en quête de sédentarisation –, tandis qu’une rampe d’éclairage à l’ancienne – bien visible et pleinement fonctionnelle – mettra en lumière les chanteurs. Avec force nuances chaudes et vacillantes.

Outre cette mise en abîme du théâtre, les chanteurs déclameront le texte comme une tragédie d’antan. Ce qu’ils exécuteront, bien entendu, avec humour et dérision, afin de susciter, sinon le rire, à tout le moins les sourires du public. Le texte sera donc scrupuleusement respecté, et les didascalies seront également prises en compte. Mais il faudra que le public accepte ce parti pris scénographique, franchisse le pas du caractère « merveilleux » de l’histoire, se sépare de certains préjugés qui collent à l'opéra – sa pompe et à son faste –, afin de pleinement en profiter. Et ne pas juger le spectacle pour ce qu’il n’est pas.

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Surprises, surprises…

C’est par conséquent un spectacle entre tradition et transgression que nous offrira l’ORW, spectacle qui, on peut déjà l’affirmer, ne manquera pas de surprises, avec notamment l’apparition d’un cheval, d’un chien, ou encore le déroulement d’une spectaculaire et assourdissante bataille… de pantins mécaniques motorisés de 1,80m ! Et que dire que cette vache, visiblement en carton pâte, que l’on va traire ? Soyez attentifs, également, à cette ingénieuse fontaine sans eau, et pourtant si « réaliste » si l’on accepte, une fois encore, d’en « voir les ficelles ».

Des idées foisonnantes, donc, et un nécessaire travail d’acteur. Travail qui imposait, selon Stefano Mazzonis, une distribution 100% francophone – et qui sera, en l’occurrence, 100% belge.

Guillaume tel un fruit meurtri ?

Nous ne verrons pas d’actualisation de l’œuvre de Grétry, pas plus que de la légende du héros suisse. Si la mise en scène est un clin d’œil résolu au passé, c’est que les affres du temps ont terni la force politique de l’œuvre. Stefano Mazzonis prend donc le parti de mettre en avant le côté légendaire du personnage, plutôt que sa symbolique. Le solennel devient burlesque, le rêve prend le pas sur l’engagement et, grâce à ce choix, on nous l’a promis, la subversion sera présente, et le Guillaume Tell de l’ORW offrira avec dynamisme 1h30 d’ironie et de sourires.

 

Marc-Henri Bawin et Samuel Namotte
Juin 2013

crayongris2Marc-Henri Bawin est étudiant en 2e année de master en Arts et Sciences de la Communication, finalité Journalisme.

crayongris2Samuel Namotte est étudiant en 2e année de master en Langues et Littératures romanes.

 


 

Photos © ORW Jacky Croisier