On émerge du Brouillard d’Henri Beugras avec un reste de malaise halluciné, qui poigne entre plexus et myocarde. Le récit est saturé d’opacité et d’angoisse. La référence à Kafka paraît immanquable à l’abord d’un texte qui commence dans une Absurdie digne d’un épisode de la Twilight Zone. C’est l’histoire d’Isidore Duval, qui s’endort dans un train, dont on ne sait où il doit le mener au juste, en tout cas loin de la « capitale ». C’est l’histoire d’Isidore Duval qui émerge de son sommeil sans rêve pour débarquer dans la gare d’une petite bourgade inconnue, baignant dans la brume. C’est l’histoire d’un inconnu, voué à le rester, et qui va disparaître, englouti par le non-sens d’une petite ville-piège, animée par un carnaval continu et où les mâles n’ont pour s’égayer qu’un bordel aussi glauque qu’onéreux. C’est une histoire de fou, de folie plutôt, où l’on patine et s’embourbe à son corps consentant, puisqu’il n’y a pas d’autre issue. Édité sous pseudonyme en 1963, Le Brouillard n’a, malgré les décennies, rien perdu de sa puissance de fascination. À s’y égarer, on dépasse rapidement la réminiscence du Château pour débusquer plutôt la référence aux camps de la mort et aux atrocités du 20e siècle. Elle point, puis se dérobe, réapparaît ici où là, s’évanouit aussitôt, nous laissant dans la seule proximité possible qu’une telle littérature peut entretenir : celle du désarroi absolu.
Frédéric Saenen
Juin 2013
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