Dans le cadre d’un workshop de deux semaines, la Faculté d’Architecture s’est associée aux Espaces botaniques ULg. L’occasion d’expérimenter sur le terrain l’architecture paysagère, que les préoccupations urbanistiques actuelles promettent à de nouveaux développements.
Un workshop intra-universitaire
« Des cours autour de l’architecture du paysage existent depuis au moins 20 ans, explique Rita Occhiuto, professeur à la Faculté d’architecture. Mais cette année, nous avons ouvert une orientation spécifique d’architecture du paysage. Les étudiants ont donc l’occasion d’expérimenter la question du paysage à toutes les échelles. » Dans le cadre de cette nouvelle orientation, la Faculté s’est donc associée aux Espaces botaniques – qui sont chargés de conserver et de gérer les collections et jardins botaniques de l’Université de Liège – afin de proposer à ses étudiants de Master 1 et 2 un workshop baptisé « Pratiques Cosmo(s)ensibles » au sein de l’îlot vert situé à l’arrière de l’Aquarium-Muséum, à proximité du restaurant Labo 4. « Depuis quatre ans, le projet Jardin du Monde vise à remettre à l’avant-plan les savoirs traditionnels en matière de plantes, tout en faisant du complexe Van Beneden-Pitteurs un lieu de rencontre entre l’ULg et le quartier », explique Nadejda Echikh, directrice des Espaces botaniques. Au cours des dernières années, le Jardin du Monde, dont l’appellation rend hommage à la diversité qui caractérise Outremeuse, a ainsi accueilli plusieurs expositions temporaires, ateliers et autres stages visant à vulgariser la botanique, par exemple autour de thèmes comme la cuisine et les plantes. « Nous sommes membres de l’Embarcadère du Savoir et travaillons avec de nombreux partenaires dont, l’ASBL Alternatives Formations, l’école d’horticulture de la Ville de Liège... Notre souhait est vraiment que le Jardin du Monde devienne un lieu de rencontre dans le quartier. Mais c’est un projet qui prend du temps. »


Photos © www.espacesbota.ulg.ac.be
Construire le vivant
En mars dernier, huit étudiants en architecture ont donc été invités à s’inscrire à leur tour dans la dynamique de requalification de cet intérieur d’îlot souvent peu connu des Liégeois... À la fois vert et proche de l’eau, il porte pourtant la trace de la première implantation de l’Université en Outremeuse. « Les étudiants ont réfléchi à la fonctionnalité du lieu, puisqu’il y a aussi un parking, un restaurant. Cela rend l’opération de “verdurisation” particulièrement complexe », commente Rita Occhiuto. Par ailleurs, aménager un enclos vert représente un véritable défi pour les étudiants architectes, souvent peu habitués à travailler avec du vivant. « Pour quelqu’un qui fait des expériences sur le bâti, il est très difficile de construire autrement. Les plantes font souvent peur à l’architecte, tout comme le vide... », explique Rita Occhiuto. « Et pourtant, l’architecte n’est pas quelqu’un qui pose des objets ; il est question ici aussi d’appréhender l’espace », rappelle Bénédicte Henry de la Faculté d’architecture. « Les étudiants ont souvent du mal à accepter la mutation et le rapport au temps. Quand on ne traite pas la nature, qu’on ne voit pas cette matière qui s’altère et vit en dehors de son propre travail, il est souvent difficile d’intégrer la patience », poursuit Rita Occhiuto. Ce type d’expérimentation permet donc d’aborder très différemment le travail de « construction » : comment bâtir avec du vivant ? Comment penser le suivi à long terme d’un matériau qui a sa vie propre ? Comment gérer les problématiques de l’ombre, de la lumière et de l’eau qui imposent leurs contraintes spécifiques ? « Ces lieux d’expérimentation sont fondamentaux non seulement parce qu’ils font mais aussi parce qu’ils questionnent des savoirs reçus », analyse encore Rita Occhiuto.
Le paysagiste : une figure professionnelle en mutation
L’expérience fut d’autant plus intense que, durant ces deux semaines de workshop, les étudiants ont été amenés à travailler en collaboration avec des stagiaires en réinsertion professionnelle. Connaissances théoriques et pratiques, botaniques et architecturales, se sont ainsi confrontées – et complétées – pour penser autrement ce petit bout de paysage... « Aujourd’hui, on a tendance à mettre toutes ces questions sous la bannière du développement durable et de l’environnement. Mais nous préférons parler de paysage, qui est une notion beaucoup plus complète car elle intègre des notions techniques, culturelles, philosophiques, historiques, géographiques. L’appellation “architecture du paysage” montre qu’il s’agit d’une déclinaison de notre métier. » Formé au 18e siècle et désignant alors des professionnels de formations très diverses – peintres, jardiniers, scientifiques –, le terme d’« architecte paysagiste » est en effet en train de prendre aujourd’hui une autre signification. « Le paysagiste est une figure professionnelle qui a de plus en plus d’importance, au niveau des réalisations à grande échelle et publiques. Il ne s’agit plus véritablement d’un métier de jardinier, c’est devenu autre chose, une voie pour appréhender la complexité, une intervention en amont… », explique Rita Occhiuto.
Un échange de savoirs
« Je pense que notre rôle est de préparer les architectes aux changements, poursuit Nadejda Echikh. Demain, ils seront de plus en plus confrontés à la question du vert dans la ville. Car aujourd’hui, on ne peut plus faire de l’aménagement sans intégrer la partie “verte” : regardez Paris, New York... Nous espérons contribuer à former des architectes qui n’ont plus une vision minérale de la ville. » À l’heure où les espaces verts sont devenus une priorité pour l’urbanisme, les connaissances spécifiques liées au végétal ont pourtant tendance à se perdre... « Au départ, les sciences botaniques faisaient partie intégrante de la médecine et de la pharmacie, puis elles s’en sont séparées. Aujourd’hui, nous avons des étudiants en médecine qui ne savent pas ce qu’est une plante ! En ce sens, la botanique a beaucoup souffert de la biologie moléculaire. Notre combat, c’est donc de remettre au goût du jour la botanique, non pas seulement en tant que science en tant que telle mais pour qu’elle puisse servir à d’autres disciplines », explique Nadejda Echikh. La directrice des Espaces botaniques souligne encore l’apport nécessaire des architectes dans l’aménagement du vivant...
« Nous sommes de plus en plus sollicités pour collaborer à des projets de jardins que ce soit pour l’Université, en ville... cependant, pour aménager un espace, il faut une vision 3D ! Et ce sont les architectes qui ont ce savoir ». Cette collaboration intra-universitaire est donc, de toute évidence, amenée à se poursuivre dans les années à venir, au sein du Jardin du Monde et ailleurs. « On voudrait de cette manière répondre à un changement en cours dans la profession, conclut Rita Occhiuto. Car en Belgique, aujourd’hui, du point de vue professionnel, on commence à avoir une demande publique avec de plus en plus de concours et de collaborations entre des métiers spécifiques : architecte, ingénieur, paysagiste, géographe... ... Tout en développant la capacité à observer, à distinguer, à préfigurer et à créer l’espace, nous devons donc initier nos étudiants à un langage plus interdisciplinaire, à des savoirs transversaux. »
Julie Luong
Mai 2013
Julie Luong est journaliste indépendante.
Le samedi 1er juin à 14h, les projets élaborés durant le workshop seront présentés au public au Jardin du Monde. L’occasion de célébrer cette belle collaboration intra-universitaire autour d’une auberge espagnole et d’un verre de l’amitié.