Disparu le 12 novembre 2011, Hubert Nyssen, né à Bruxelles en 1925, a laissé un roman en chantier, L’Orpailleur, ainsi que plusieurs textes aujourd’hui réunis dans Dits et inédits publié dans la collection qu’il continuait à diriger depuis son mas du Paradou, Un endroit où aller. Au fil des dix nouvelles, il crée, avec subtilité et élégance, des ambiances prenantes, campe des personnages complexes, fait naître des émotions fortes dans une langue à la fois souple et joliment évocatrice. Ses personnages sont tour à tour le galibot Petit Louis triste de voir son cheval Hercule envoyé au fond de la mine, Jeanne, une fille facile qui veut se marier et à qui Zunz aimerait offrir un autre destin, ou Nadine, coincée au milieu de jeunes soldats dans un train en route pour l’Algérie en guerre qui repense à sa sœur coincée quelques années auparavant dans un autre wagon, dans d’autres circonstances. Ou encore Alexandre, héros d’un très beau texte daté de 1946 – Nyssen a une vingtaine d’années – qui, à 10 ans, quitte sa famille pour suivre un couple d’équilibristes et leur fils.
Ces textes sont précédés d’un récit autobiographique d’une centaine de pages intitulé Imagerie délicieuse. Cette « chronique » entraîne le lecteur sur les traces d’une enfance évoquée par petites touches sensibles : les premières caresses prodiguées par la fille du propriétaire, ses parents qu’il veille à se réserver séparément, ses nombreux déménagements à Bruxelles, en banlieue ou en province, ses désirs qu’une fois assouvis il délaisse, ses premiers émois sensuels auprès de la fille d’une amie de sa mère, puis amoureux avec une autre adolescente, des vacances seul en Champagne chez un Tonton Victor collectionneur d’horloges, l’entrée en guerre puis l’exode en 1940. Ces événements intéressent l’auteur moins pour eux-mêmes que pour l’effet qu’ils produisirent sur l’enfant d’alors s’éveillant à la vie.
Hubert Nyssen a, de son vivant, légué des archives à l’Université de Liège. Pascal Durand, directeur du fonds Nyssen, a signé avec Benoît Denis la postface du Nom de l’arbre, le premier roman du futur éditeur publié en 1973 et réédité dans la collection Espace Nord. Il est l'organisateur d'une journée d'étude qui se tiendra le 8 mai prochain à l’université sous un titre qui est déjà tout un programme : « Les écritures d'Hubert Nyssen ».
photo © Michel Houet - ULgQue contient le fonds Hubert Nyssen ?
Si l’écrivain et l’éditeur se confondent après la création d’Actes Sud en 1978, le gros des archives concerne l’écrivain : ses manuscrits, carnets de notes, conférences, comptes rendus, dossiers de presse, sa correspondance, etc. Ce sont plus de deux cents boîtes classées minutieusement. Homme de mémoire et de fidélité, il gardait et classait tout. Ces dossiers couvrent toute sa carrière et comportent aussi, en amont, quelques archives familiales. Ils ont également trait aux écrivains avec lesquels il a été en contact étroit : Nancy Huston, Max-Paul Fouchet, Nina Berberova, Albert Cohen, etc. La constitution de ce fonds répond chez lui à la volonté de témoigner d’une expérience professionnelle et humaine particulièrement riche, notamment dans ses carnets intimes protégés par un embargo de cinquante ans et dont il n’a publié qu’une partie. C'était aussi pour lui une façon de conjurer l'événement traumatique dont il avait été témoin dans son enfance et qu'il a rapporté en 2002 dans Zeg ou les infortunes de la fiction : « l’autodafé » des archives de ses grands-parents, qui furent ses vrais formateurs intellectuels. Il ne voulait pas, non plus, que ses héritiers soient embarrassés par cet énorme stock de documents, qui seraient en revanche du plus haut intérêt pour les chercheurs intéressés par son oeuvre et sa trajectoire professionnelle.
Pourquoi a-t-il légué ses archives à l’ULg ?
Pour plusieurs raisons. Au début des années 1990, il a été approché par notre département de communication pour donner un cours de pratique professionnelle de l’édition qu’il a assuré pendant quatre ans. Des liens d’amitié et de confiance se sont ainsi noués et lorsque j’ai appris qu’il s’inquiétait de l’avenir de ses archives, je lui ai fait savoir que le CELIC (Centre d’Études du Livre Contemporain) était tout disposé à les accueillir. Et il a tout de suite été d’accord. Si elles sont cédées à l’université, elles restent la propriété des ayants droit. C’est une première raison. Une deuxième raison tient à sa trajectoire personnelle. Naturalisé français en 1976, il a dû renoncer à la nationalité belge. Mais la Belgique est restée chevillée à son imaginaire d’enfance et d’adolescence, ses premiers pas dans la vie professionnelle, etc. Habité par un sentiment à la fois de familiarité et d’étrangeté avec l’espace français, il est resté profondément hanté par ses origines wallonnes et bruxelloises. Déposer ses archives à l’université tenait dès lors pour lui d'une sorte de retour vers le passé et vers l'archéologie de son propre imaginaire. Une troisième raison était d'ordre pratique. Comme membre étranger de l’Académie royale de Langue et de Littérature – un comble pour lui qui est né belge –, il était régulièrement amené à faire le voyage entre Arles et Bruxelles. Or Liège étant sur le chemin, c’était une façon pour lui de ne pas couper complètement le cordon ombilical symbolique avec ses archives. Celles-ci restaient à sa disposition quand il le souhaitait alors que si elles avaient été déposées aux États-Unis, comme il l’avait un temps envisagé, c’eut été autrement plus difficile. C’est ainsi que, courant 2005, je suis allé chercher ce fonds dans sa maison du Paradou, près des Baux-de-Provence. Et j’y suis retourné après sa disparition pour les derniers documents.


Hubert Nyssen et Pascal Durand, lors de l'inauguration du Fonds Hubert Nyssen à l'ULg, avril 2005. Photos ULg -DM