Quinze ans sans se voir… Autant de temps nécessaire à l’un pour se créer une nouvelle vie, à l’autre pour grandir. Cachés, à nouveau, l’un et l’autre se rencontrent. Derrière une lourde porte en tôle, dans une pièce glaciale. C’est là que Paul pousse la jeune fille.
Là commence l’ambiguïté : qui est-elle, qui est celui qui l’y entraîne ? La subtilité du texte original écrit par David Harrower entraîne le spectateur dès le début de la représentation. Le mystère plane. Una vient surprendre Paul. Il est mal à l’aise et développe une réaction quasi hypodermique face à cette jeune femme. Le dialogue prend racine sur des éléments ne permettant pas au spectateur de comprendre ce qui semble les unir l’un à l’autre. La situation suscite la curiosité.

Ayant reconnu Paul grâce à une photo publiée dans un magazine, elle a décidé de faire la route pour venir le voir. Dans la première partie de la pièce, les reproches fusent et, peu à peu, le spectateur peut comprendre quelle a été la nature de leur histoire. Une relation entre un adulte et une fille de 12 ans, les difficultés, le tribunal, le psychologue, la famille etc. Il s’est créé une autre vie ailleurs, loin de là. Elle a dû rester dans la même maison, dans la même rue où on l’insultait, dans la même école où on la dévisageait… Comme si ses parents voulaient la punir. Si bien qu’elle considère que c’est elle qui a purgé la peine. Una est contrainte et forcée de penser à cette histoire chaque jour, pire encore, la ressentir au plus profond d’elle. Paul, lui, a pu évoluer dans un nouveau cadre laissant le souvenir distant.
Elle semble cette fois être en position de dominance sur lui. Elle arrive sur son lieu de travail, comment va-t-il expliquer cette présence féminine à ces collègues ignorants tout de son passé ? Elle arrive dans sa vie, comment va-t-il s’en sortir avec sa nouvelle compagne consciente de son passé (ou du moins en partie). Elle a besoin de l’entendre pour se construire, lui semblait très bien s’en sortir comme ça. Elle lui rentre dans le lard, il se défend comme il peut, sans sincérité d’abord, avec un témoignage formel. La musique rugueuse accroît encore le sentiment de malaise des spectateurs.
Dans la seconde partie, les sentiments se dévoilent. On apprend une vérité que le procès n’a pu établir : il devait dire une certaine vérité pour éviter d’alourdir la peine, elle était mise à l’écart des révélations qu’elle attendait. Finement joués, les sentiments mutuels se dévoilent. Pour Una, Paul était alors « Alex », un ami de son père mais surtout son premier amour. Elle le désirait à la façon d’une petite fille. Ils partagent des souvenirs communs, ceux de leurs premières rencontres. Paul a fini par succomber à son amour pour elle. Les choses ont été plus loin. Ils ont été séparés, n’ont pas compris ce qu’il leur arrivait. La vérité devait venir de l’autre, pas d’un juge ou d’un psychologue, l’amour devait s’expliquer lui-même. Ils partagent ainsi leurs sentiments passés. Présents peut-être…
Blackbird est jouée dans le cadre du festival Émulation. Proposée par le collectif IMPAKT, elle donne à voir une mise en scène simple contribuant à s’approcher au plus près des sentiments exprimés par le duo. Jérôme de Falloise et Sarah Lefèvre interprètent de façon très convaincante cet ancien « couple » qui se retrouve. Le fil de l’histoire se déroule fluidement, laissant dans son déploiement la place à des nœuds rendant le récit vigoureux. Jusqu’au bout, le spectateur ne se semble pas lésé par un quelconque essoufflement, allant de découvertes en découvertes, de surprises en surprises.
Sylvie Grégoire
Avril 2013
Sylvie Grégoire est étudiante en 1re année de master en Arts du spectacle
Blackbird, de David Harrower
Mise en scène Collectif IMPAKT
Création collective Jérôme Falloise, Clara Flandroy, Sarah Lefevre, Wim Lots, Fred Op de Beek, Anne-Sophie Sterck, Raven Ruëll, Manu Savigni et Lara Toussaint