Des gouttes sur une pierre brûlante, de Rainer Fassbinder

À l’occasion de la cinquième édition du Festival Émulation, organisé par le Théâtre de la Place, le Pôle Image accueille Des gouttes sur une pierre brûlante. S’appropriant la première œuvre théâtrale de l’incontournable Rainer Fassbinder, le jeune metteur en scène Caspar Langhoff nous offre un huis-clos décalé, qui interroge subtilement les rapports de force qui émaillent notre quotidien.

L’histoire se noue autour d’une rencontre troublante : Franz, 19 ans, adolescent cultivé et fiancé à Anna, échoue dans l’appartement de Léopold, 35 ans. Ce commerçant, virtuose de la manipulation, attire implacablement le jeune inexpérimenté dans son lit. Entre les deux hommes se tisse au fil des mois une liaison malsaine, rythmée par la volonté de domination de Léopold et les révoltes avortées de Franz. Piégé dans cette relation empoisonnée, ce dernier sombre en voulant se libérer de l’influence de son amant. Loin d’être salvatrice, l’arrivée de sa fiancée et de l’ancienne compagne de Léopold ne fait que précipiter la chute du jeune homme, qui se suicide dans une indifférence obscène et absurde.

Des Gouttes sur une Pierre Brulante (c) Little Big Horn©  Little Big Horn

Moins suffocante que ne le laisse présager sa trame, cette pièce porte la signature stylistique acerbe de son auteur, Rainer Fassbinder. Le cinéaste allemand aligne avec ironie des mots d’une violence sans fard ; mais loin d’un dialogue froid et chirurgical, cette prose se transforme en une poésie vitriolée, incarnant la violence symbolique inscrite au cœur de tout rapport humain. La thématique de l’homosexualité s’efface devant celle de la cruauté ordinaire : entre domination sadique et asservissement masochiste, l’accent étrangement familier de la relation nouée par les protagonistes dérange. En instaurant un équilibre subtil entre distanciation du jeu et immédiateté du propos, cette pièce de Fassbinder vient secouer, non sans humour, le confort du spectateur.

Ce texte grinçant s’épanouit dans un décor classique et bien pensé – qui s’adapte parfaitement à la salle du Pôle Image. Le public est projeté dans l’appartement de Léopold, où la musique distillée par les vinyles dialogue avec la tragédie comique qui se noue sur les planches. La griffe de Caspar Langhoff – qui avait déjà mis en scène Preparadise Sorry Now du même Fassbinder – se marque particulièrement dans la gestion de la lumière, créant une ambiance scénique tantôt intimiste, tantôt crue. Le jeu d’acteur constitue également une belle découverte : amant et bourreau, Jean-Benoît Ugeux campe un Léopold cynique aussi détestable que fascinant, tandis que Gabriel Da Costa s’approprie sans excès caricatural le rôle difficile de Franz. Quant aux personnages féminins – moins présents que dans les œuvres postérieures de Fassbinder – ils sont incarnés avec justesse par Marie Luçon et Aurore Fattier.

Avec sa mise en scène efficace – qui flirte habilement avec la limite du politiquement correct – et son texte interpellant, Des gouttes sur une pierre brûlante dépeint sans complaisance la lutte pour la domination. Cette « comédie à la fin pseudo-tragique », comme la qualifie adéquatement Fassbinder, tient ses promesses en plongeant le spectateur dans une réflexion sur son rapport à l’autre.

Julie Delbouille
Avril 2013

crayongris2Julie Delbouille est étudiante en 2e master de médiation culturelle.

 


 

Des gouttes sur pierre brûlantede R.W. Fassbinder

Mise en scène, décor et lumières Caspar Langhoff
Avec Gabriel Da Costa, Aurore Fattier, Marie Luçon, Jean-Benoît Ugeux