La cuisine à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance

Des changements importants s’opèrent chez ces auteurs. Ainsi, une des caractéristiques principales de la cuisine de la Renaissance est la revalorisation des fruits et des légumes qui ont été presque totalement snobés par les élites médiévales. Ce renouveau de l’intérêt pour l’horticulture, venu d’Italie, passe par la redécouverte des auteurs classiques – tels que Caton, Varron, Columelle et Pline – qu’on enrichit des nouvelles expériences. On se régale des traditionnels choux, pois, oignons et poireaux. On remet à la mode les antiques asperges, concombres, melons, câpres, cardons, truffes et champignons. Sans oublier les arabes épinards, oranges amères, citrons et limons, tandis que les salades et artichauts italiens pourraient symboliser à eux seuls l’immense vogue pour les légumes.

L’asperge est soupçonnée d’inciter au vice.

AspergeMais voilà, les légumes ne sont pas vraiment considérés comme des aliments. D’après les médecins, c’est la viande qui nourrit ! Les légumes, eux, ne sont consommés que par plaisir. Si on ajoute à cela la symbolique qu’il y a derrière certains d’entre eux, comme l’asperge, on imagine aisément la virulence des moralistes à l’encontre de cette nouvelle consommation particulièrement sensuelle. Les « bonnes salades », comme on les appelait, sont particulièrement visées.

Nos maîtres queux italiens remettent également à la mode les antiques abats, méprisés au Moyen Âge. Platine ressuscite le foie d’oies nourries aux figues, les langues d’oiseaux, tout comme les tétines de truie et les estomacs farcis. On apprécie également les yeux des bêtes de boucheries, une mode turque et arabe, ainsi que le caviar et les huîtres qui entrent durablement dans la gastronomie.

La culture des pâtes s’enrichit considérablement. D’une part, avec le développement du feuilletage par empilage, pliage et roulage – pas encore par tourage – et d’autre part par les multiples formes que prennent les pâtes alimentaires. Ainsi les macaronis, les tagliatelles, les gnocchis – qui sont en pâte à chou –, et les raviolis débarquent dans nos régions dès le 16e siècle !


La cannelle est l’épice reine au 16e siècle. Associée au sucre,
elle caractérise un goût très présent dans la gastronomie de la Renaissance.

Cannelle2C’est dans l’usage des aromates que le changement est le plus remarquable. L’exemple de l’Ouverture de cuisine (1604), du liégeois Lancelot de Casteau, est tout à fait remarquable. Tout d’abord, il y a un rétrécissement de la gamme des épices. Il faut dire que les Européens sont parvenus en Inde et que le fameux imaginaire des épices, responsable en grande partie de leur succès, s’est complètement effondré face à la réalité observée sur place. Ainsi, un certain nombre d’épices, dont les plus brûlantes, disparaissent. Le galanga, la cardamome, le poivre long, la graine de paradis, le cubèbe et la fleur de cannelle, si appréciés au Moyen Âge, passent complètement à la trappe. Ensuite, on remarque que ce sont les épices douces qui prennent le pouvoir. Le sucre est l’aromate numéro un, suivi directement de la cannelle, de la noix de muscade, puis du poivre, du gingembre, du safran, du macis et enfin du clou de girofle.

Le sucre tient un rôle central dans la manière d’associer les différents aromates. Si nous prenons en compte les sauces de Lancelot de Casteau, on s’aperçoit que c’est la présence ou l’absence de sucre qui conditionne l’usage des autres condiments. Ainsi, les sauces sucrées contiennent systématiquement de la cannelle, et occasionnellement du safran et du clou de girofle. Elles ne contiennent jamais d’herbes, ni de citron, ni de câpre, ni de sel – à une exception près. Les sauces non sucrées, par contre, n’accueillent jamais de cannelle, ni de safran, ni de clou de girofle, mais bien des herbes, du citron, des câpres et du sel. La noix de muscade, le poivre et le gingembre se retrouvent aussi bien chez l’un que chez l’autre. Notons que le couple sel-poivre n’existe pas encore vraiment.

Ainsi, les cuisiniers de la Renaissance ont élaboré un système gastronomique précis basé sur une partition entre le sucré et le non sucré, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Cette évolution annonce l’immense chamboulement de la gastronomie française au 17e siècle...


Pierre Leclercq
Avril 2013

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie, collaborateur de l'ULg. Ses recherches doctorales portent sur la gastronomie au temps de Lancelot de Casteau. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.

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