La construction de l’altérité
Le cadrage informatif de la question du voile a donc défini la femme en fonction de son voile, participant ainsi à la stigmatisation de cette population au travers de stéréotypes qui ont été mis en exergue dans les débats médiatiques. Il a ainsi produit un effet de dichotomisation de la société où la femme voilée apparaît comme « l’autre », sans valeurs communes avec la société belge.
Cette mise en récit de l’altérité de la femme arabo-musulmane conforte d’une certaine façon la vision stigmatisée, réductrice et criminalisante de la femme. Le voile est devenu le catalyseur des craintes envers l’islam, notamment en raison de glissements sémantiques et d’amalgames, qui concourent à produire une image stéréotypée de l’islam, confondant religion avec intégrisme, identité religieuse avec communautarisme et affichage de convictions religieuses avec tentative de les imposer à l'Occident.
La manière même dont le débat a été posé, c’est-à-dire en forme de problématique du vivre ensemble, a fortement aidé au relais massif des stéréotypes et des préjugés envers une partie de la population considérée comme « l’alter ».
L’islam est par ailleurs présenté comme homogène et totalement incompatible avec les valeurs des sociétés occidentales modernes comme la laïcité, la démocratie et les droits de l’homme – et de la femme –. Les caractéristiques de ce prétendu islam homogène sont attribuées aux femmes voilées, sans prendre en compte la personne mais uniquement la religion à laquelle elle appartient. L’attitude d’une musulmane, quelle qu’elle soit, semble prédéterminée par sa condition de musulmane.
Or, l’altérité, représentée aujourd’hui au travers du voile, n’est que la transposition du discours « orientaliste » défini par Edward Saïd comme un emprunt d’imaginaire et de stéréotypes sur l’Orient et par extension l’islam. Les caractéristiques « définies et immuables » des Arabo-musulmanes permettent à l’Occident de se définir dans son altérité tout en posant sa culture comme plus avancée, face à l'arriération des Arabes.
Méconnaissance et incompréhension
Dans les textes analysés, on constate que les femmes voilées sont peu interrogées, de même d’ailleurs que la communauté musulmane en général. Elles représentent seulement 6% des intervenants dans ces articles, contre 40% de personnalités politiques (dont la plupart sont des hommes). Cette quasi-absence de parole tend à confirmer les stéréotypes présentés ci-dessus, et notamment l’incapacité de ces femmes à penser par elles-mêmes ou leur manque d’intérêt pour le dialogue public et l’intégration.
Contrairement aux femmes voilées, les hommes politiques sont fréquemment cités dans notre corpus. La politisation du sujet est vraisemblablement d’ailleurs à l’origine de sa surmédiatisation, de même que l’intérêt que porte le lectorat à ce type de problématiques – les articles consacrés au voile figurent en effet parmi les plus lus et les plus partagés –, et que le fonctionnement du champ médiatique dans un contexte économique difficile, où les délais et les impératifs ne permettent pas toujours aux journalistes de traiter ces sujets sensibles avec le recul nécessaire pour éviter toute stéréotypisation.
Il serait sans doute intéressant de donner davantage la parole aux musulmans et aux femmes en particulier. Leur intégration dépend de la connaissance que nous avons d’eux et nécessite le soutien de la société, des médias et du monde politique. L’image de la femme voilée telle qu’elle est actuellement véhiculée par les médias, consciemment ou non, semble ne correspondre que trop partiellement à la réalité et alimenter le sentiment d’altérité et d’incompréhension.
Marta Luceño Moreno
Avril 2013
Marta Luceño Moreno est journaliste indépendante et commence un doctorat en communication sur la mise en scène et la médiatisation des « révolutions arabes ».
Photo ©Weinstein- Fotolia
Page : précédente 1 2