Banksy: l’incognito au service de la célébrité

Banksy...  Ce pseudonyme encore inconnu il y a une dizaine d'années réfère aujourd'hui à une sommité en matière d'art contemporain et plus précisément de street art. Pourtant même après une décennie, la question qui brûle toutes les lèvres reste inchangée et irrésolue : qui est Banksy ?  C'est là tout l'intérêt et l'enjeu de la question. La dissimulation de son identité ne relève plus d'une nécessité originellement liée à la discipline illicite du street art puisque l'artiste est désormais reconnu et  qu'il occupe une place de choix sur la scène artistique contemporaine. L'incognito qui anime son personnage est en réalité un stratagème échafaudé pour capter l'attention du public et des médias et attiser leur curiosité. L'artiste a habilement nimbé son personnage d'une enveloppe mystérieuse que chacun espère percer. En suscitant de l'intérêt et en induisant de la croyance, Banksy est parvenu à se faufiler jusqu'à son but ultime : la célébrité.

Banksy est à l'origine un artiste graffeur qui débute sa carrière dans les années 90. Il est issu de la veine anglaise du Street Art, une discipline polymorphe alliant diverses formes et supports plastiques telles que le graffiti, le tag, l'installation, le collage de stickers ou encore d'affiches dans l'espace urbain. La technique du pochoir privilégiée par Banksy pour développer et se forger son  propre style est héritée du mouvement français du Street Art et est alors peu répandue en Angleterre. Cet outil a priori assez rudimentaire et confectionné de manière artisanale offre au graffeur de nombreuses facilités telles qu'une plus grande rapidité d'exécution et une efficacité optimale tout en respectant les impératifs originels de cet art clandestin : braver l'interdit, agir dans l'illégalité et l'anonymat puis prendre la fuite une fois le graffiti accompli. En s'appropriant cette technique, Banksy impulse la tendance Outre-Manche, si bien que les murs de Londres arborent de plus en plus de fresques murales conçues à l'aide du pochoir. À l'aube des années 2000, Banksy dont l'identité et l'état civil restent inconnus, s'impose non seulement dans la communauté des graffeurs comme un artiste accompli, reconnu pour ses talents de pochoiriste mais se forge également une réputation de rebelle auprès des habitants de Bristol, sa ville natale, et des villes alentour.

Banksy, un artiste outsider ?

banksy1Cette réputation marginale dont le public est friand peut en partie être expliquée par l’audace et l'insolence de l'iconographie banksyienne. Cette dernière, animée par des personnages récurrents (enfants, policiers, rats et singes), procède par inversion des rôles, par renversement des valeurs en conférant aux individus représentés des comportements contraires à ceux qui leur sont communément attribués dans l'imaginaire collectif. La scène dépeinte reflète des valeurs contrastées, incompatibles voire opposées et leur subtile mise en présence a pour conséquence de produire une signification nouvelle destinée à alerter les consciences citoyennes sur les tares de la société, les failles d'un système régi par des lois omniprésentes. L'artiste représente par exemple un policier reniflant une ligne de cocaïne ou taguant « Thug for life » (« Voyou pour la vie »).

La conjonction de toutes ces spécificités donne lieu à une griffe unique et reconnaissable entre toutes dans l'espace public. Pourtant, la célébrité de Banksy n'est pas à imputer exclusivement à la logique dénonciatrice et provocante qui sous-tend ses œuvres, ni à l'image qu'il tente de véhiculer; celle d'un artiste réfractaire œuvrant en marge du système établi et animé par un rejet des structures institutionnelles et des normes traditionnelles. Si l'on y regarde de plus près, de nombreuses contradictions jalonnent son parcours et viennent contredire les idéaux contestataires qu'il revendique.

Plusieurs événements remettent grandement en cause la position marginale dont Banksy s'enorgueillit notamment à travers le label d'artiste outsider. L'artiste proclame rejeter tout héritage ou influence artistique mais en détournant des tableaux canonisés tels que La Joconde de Léonard De Vinci, il s'inscrit dans la lignée d'artistes comme Marcel Duchamp, Fernand Léger, Andy Warhol, Roman Cieslewicz et Jean-Michel Basquiat qui ont marqué l'histoire de l'art de cette prouesse avant lui. De même, en revisitant Nightawks de Edward Hopper pour lui insuffler un autre message, il pose un acte similaire à celui de fervents défenseurs de la technique du détournement comme Asger Jorn du mouvement C.O.B.R.A ou Guy Debord de l'internationale situationnisme.  

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Banksy prétend ensuite se situer en dehors des normes régissant la sphère artistique, économique et politique. Or, au fil de sa carrière, il noue progressivement de nombreuses collaborations avec des acteurs influents dans les institutions muséales et sur le marché de l'art contemporain jusqu'à franchir la porte de galeries d'art renommées, trôner dans les plus prestigieuses maisons de vente aux enchères telles que Sotheby's et Bohams et surtout, enchaîner des expositions toujours plus grandiloquentes qui atteignent des chiffres de fréquentation dignes de certains artistes consacrés. En s'attirant les sympathies de Damien Hirst, un des artistes les mieux côtés sur le marché de l'art contemporain actuel et en produisant avec ce dernier Keep it spotless, Banksy assure son avenir. Cette association pour le moins surprenante entre un artiste emblématique de l'opulence et un graffeur anonyme considéré jusqu'il y a peu comme un imposteur fait flamber les chiffres des ventes des tableaux signés Banksy et le propulse aux côtés des artistes vivants les plus en vogue. 

Banksy ne s'arrête pas là dans son ascension vers la gloire puisqu'en 2006, il organise avec son agent Steve Lazarides l'exposition monumentale Barely Legal. Celle-ci se déroule dans un immense hangar désaffecté de Los Angeles dans lequel est recréée une atmosphère underground  propre à l'essence originelle du street art. Mais sous ces fausses allures se cachent de véritables impératifs commerciaux. En réalité, tout a été conçu et exécuté afin de séduire le plus grand nombre et d'attirer les foules. Les produits d'appel sont multiples. Une communication exubérante largement relayée par les médias est mise sur pied et la présence au vernissage de stars du grand écran telles qu'Angelina Jolie, Brad Pitt, Keanu Reeves renforcent plus que jamais la dimension « strass et paillettes » escomptée. Malgré ce florilège de célébrités, une autre attraction agrémente le spectacle ; un éléphant intégralement peint du même motif que la tapisserie des murs par les soins de Banksy. Le pachyderme a été la cible des flashs des journalistes tout au long de la soirée reléguant les œuvres au second plan. Elles sont pour leur part passées presque inaperçues.

Alors qu'au début des années 2000, l'artiste exposait avec très peu de moyens dans des lieux alternatifs fréquentés par un cercle restreint d'adhérents à l'esthétique et à la philosophie du street art et alors que ses créations répondaient à une logique de gratuité, Banksy a réussi à s'implanter dans le terreau fertile du marché de l'art, à faire germer sa célébrité et à en récolter les fruits en faisant l'impasse sur des pratiques marchandes qu'il prétendait rejeter.

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