Une stratégie infaillible

 «J'utilise l'art pour contester l'ordre établi, mais peut-être que j'utilise simplement la contestation pour promouvoir mes œuvres.¹ » Cette phrase laisse transparaître la tactique mise en place par l'artiste pour créer de l'engouement autour de ses œuvres ainsi que de son personnage. Elle témoigne simultanément de la prise de conscience dont il fait preuve à l'égard des réalités économiques inhérentes au monde de l'art, à savoir que la non-conformité apparaît de nos jours comme une valeur sûre, comme un gage d'authenticité. Banksy a donc orienté ses actes et ses paroles en vue de marquer les esprits car il a intégré l'idée qu'être catégorisé en tant qu'artiste rebelle, c'est en réalité bénéficier d'un trait distinctif parmi la multitude d'artistes qui affluent sur le marché de l'art. Ce marqueur de différentiation ne représente néanmoins qu'une des pièces du puzzle que Banksy s'est appliqué à rassembler pour asseoir son unicité. Cet élément ne pourrait suffire à lui seul pour déboucher sur une célébrité si fulgurante et unanime. Bien d'autres graffeurs enfantés par cette discipline imprévisible cultivent un goût prononcé pour la rébellion, ils n'ont pourtant pas atteint un tel exploit en un temps record. Certes, Banksy est parvenu à se faire remarquer pour son apparence contestataire mais la pièce maîtresse du puzzle réside sans aucun doute dans le mystère lié à son identité. L'anonymat est originellement cultivé et prêché par tous les artistes de street art résolus à échapper au système sécuritaire répressif mis en place par l'État pour faire régner l'ordre dans l'espace public. Banksy l’a donc utilisé au début de sa carrière afin d'éviter les représailles auxquelles n'importe quel artiste de rue agissant sans autorisation légale s'exposait. Or, une fois devenu célèbre, il persiste non seulement à préserver le mystère qui gravite autour de son identité mais le surjoue et le renforce en développant autour de son personnage une symbolique de plus en plus mystérieuse et fascinante. L'anonymat auparavant exploité dans un but de discrétion se trouve réapproprié à des fins d'exhibition. Sa silhouette est systématiquement dissimulée, son visage  masqué et son grain de voix altéré par des logiciels informatiques.

En se mettant en scène de façon toujours plus théâtrale, Banksy intrigue et fait parler de lui. Il parvient à se distinguer des autres artistes anonymes par l'étoffe spectaculaire que son mystère identitaire revêt. En exploitant une caractéristique commune aux artistes du street art – l'anonymat ou l'incognito – pour en faire une qualité distinctive, un trait valorisant, l’ingéniosité de Banksy fait une fois de plus ses preuves. Cette quête d'individualité et de singularité a dans un premier temps harponné l’attention des médias de masse pour se répandre ensuite par l’intermédiaire de ces mêmes canaux à un vaste public. Banksy est désormais paradoxalement connu pour son incognito. En plus d’être un artiste maîtrisant l’art de la provocation et du camouflage, Banksy pourrait sans aucune doute siéger aux côtés d’experts publicitaires engagés par les plus célèbres marques de consommation de masse. Comme eux, il recourt à la technique du storytelling qui consiste à forger de la croyance et de l’addiction autour d’un produit en construisant un récit basé sur des idéaux et  sur une logique d’évasion du quotidien.

Banksy a non seulement insufflé un sentiment illusoire de contestation et de marginalité autour de son œuvre alors qu'il est aujourd'hui parfaitement enraciné dans le monde de l'art et qu'il obéit aux logiques qui le gouvernent, mais il est surtout parvenu à cristalliser de l'engouement autour de son personnage en tant qu’œuvre d’art totale si bien qu’il s'impose aujourd'hui comme une figure incontournable et mythique dans le paysage de l'art contemporain.

Marjorie Ranieri
Avril 2013