Cinéma allemand

Alors que l’année de l’Allemagne bat son plein au sein de l’ULg, l’asbl Les Grignoux nous a concocté en parallèle un mois spécial dédié au cinéma allemand, avec pas moins de six films prévus du 24 avril au 21 mai. La programmation s’avère être de qualité puisqu’elle résume presque à elle seule l’histoire du cinéma allemand, de l’après-guerre à aujourd’hui.

LoreIl y a tout d’abord Lore, un film de Cate Shortland qui narre comment en 1945, à la fin de la guerre, Lore, fille d’un haut dignitaire nazi, traverse l’Allemagne avec ses frères et sœurs. Livrés à eux-mêmes, au milieu du chaos, leur chemin croise celui de Thomas, un jeune rescapé juif, à qui Lore va devoir faire confiance pour survivre en terre hostile. Marqué par l’Histoire de son pays, le cinéma allemand n’a eu de cesse depuis près de 70 ans de lutter contre ses démons intérieurs et chercher la pénitence à travers ses films. Film à la beauté glacée, Lore poursuit cette volonté de la jeune génération de se distancier du passé en voulant aller de l’avant et en rappelant des valeurs simples, disparues le temps d’une horreur idéologique. On pense au cinéma allemand des années 60, qui culpabilisait et souhaitait rééduquer les Allemands, à la différence que Cate Shortland joue de la corde sensible pour perpétuer le devoir de mémoire et l’éveil de la conscience.

Nouveau cinéma et « nouveau » Nouveau cinéma allemand

Hannah ArendtParallèlement à cette vague de films pénitents des années 60, un mouvement émergea de manière spontanée, sous l’influence de la Nouvelle Vague française : le Nouveau Cinéma allemand. Composé de cinéastes aussi divers qu’Alexander Kluge, Volker Schlöndorff, Werner Herzog, Peter Fleischmann, Rainer Werner Fassbinder et, un peu plus tard, Werner Schroeter et Wim Wenders, ce mouvement allie engagement politique et admiration du cinéma américain classique, principalement mélodramatique (Fassbinder est l’héritier le plus évident de Douglas Sirk). Bien que ne relevant pas à proprement parler de ce mouvement, Margarethe Von Trotta y a suffisamment baigné pendant des années (actrice chez Fassbinder, épouse de Schlöndorff) que pour en voir son cinéma influencé. Spécialisée dans le biopic de femmes fortes (Rosa Luxembourg, Vision sur Hildegarde von Bingen), la réalisatrice revient avec Hannah Arendt, connue pour ses travaux philosophiques. En prenant comme sujet l’écriture de son livre très polémique Eichmann à Jérusalem, la réalisatrice place Hannah Arendt dans une perspective digne du Nouveau Cinéma allemand, formellement soigné et écrit comme un film hollywoodien tout en gardant son engagement politique1 et sa conscience, à nouveau, de l’Histoire de l’Allemagne (le procès d’Eichmann est évoqué régulièrement). Bien qu’il ne soit pas le meilleur film de son auteur, Hannah Arendt a le mérite d’offrir tout à la fois un prolongement thématique de l’œuvre de la cinéaste et une introduction à celle-ci pour tous ceux qui souhaiteraient découvrir cette réalisatrice essentielle dans le cinéma allemand actuel.

Yella et BarbaraMarqué par la mort brutale de Fassbinder et l’appel d’Hollywood pour certains (Schlöndorff, Herzog, Wenders) et de la télévision pour les autres, le Nouveau Cinéma allemand se dispersa au début des années 80 sans réel successeur. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’un nouveau Nouveau Cinéma devait voir le jour, plus connu sous le nom de l’École de Berlin. Cette appellation, que la plupart des intéressés qualifient d’argument journalistique facile, regroupe une série de cinéastes originaires de Berlin et provenant tous d’écoles de cinéma, travaillant parfois les uns pour les autres (souvent en qualité de scénaristes) et réfutant un cinéma populaire facile pour un cinéma d’auteur intelligent, inspiré par des cinéastes comme Antonioni, Kiarostami, Bruno Dumont ou encore les frères Dardenne. Considéré comme l’une des figures majeures de cette École de Berlin, Christian Petzold sera mis à l’honneur aux Grignoux avec deux films, Yella et Barbara. Regards croisés sur l’Allemagne d’aujourd’hui et d’hier (le monde des affaires dans Yella et la RDA de Barbara), le cinéma de Petzold se distingue par une esthétique froide, parfois clinique, laissant constamment la priorité à un scénario écrit avec précision et justesse. On sent surtout l’influence non dissimulée d’Hollywood : Yella invoque ainsi, par son scénario nébuleux, son érotisme latent et une subtile touche de fantastique, le cinéma de David Lynch alors que Barbara doit davantage à Hitchcock ou Hawks qu’à Goodbye Lenin ou La vie des autres, eux aussi sur la RDA. Deux films essentiels pour comprendre ce cinéaste adulé en festival mais curieusement boudé en salles, malgré une approche du cinéma moins intellectuelle et rigide qu’on ne pourrait le croire dans les premiers instants des films.  

Une figure à part : Ulrich Seidl

Paradis Amour et FoiDernier réalisateur mis en avant durant ce mois spécial : Ulrich Seidl. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que vous n’avez vu aucun de ses films, car ceux-ci ont la faculté de marquer les esprits de manière systématique (Dog Days et Import/Export en tête, pour les plus faciles d’accès). Ce sont les deux premiers volets de sa trilogie très polémique (le troisième est en finition) qui seront projetés : Paradis : Amour et Paradis : Foi. Derrière ces titres se cachent deux films provocants, sulfureux, croisements bruts entre le cinéma de Haneke (Seidl est lui aussi autrichien) et Pasolini. Ce que certains médias ont qualifié de cinéma vulgaire et facile est en réalité un regard acide sur les travers de notre société moderne : tandis que Paradis : Amour évoque le tourisme sexuel de riches madones européennes en Afrique, Paradis : foi aborde la question de l’intégrisme religieux et de la sexualité refoulée. On le voit, le point de départ de ces films n’est pas innocent (le prochain traitera de pédophilie et de centre d’amaigrissement…) mais Ulrich Seidl a le mérite d’assumer son rôle de poil à gratter jusqu’au bout, n’en déplaise aux âmes sensibles, s’offrant certes quelques provocations faciles (Foi) et trop appuyées (Amour) mais bousculant tout et tout le monde, autre face du miroir du cinéma teuton évoqué avec Petzold, Von Trotta et  Shortland, négligeant le passé pour ne se concentrer que sur le présent et s’inquiéter du futur (le troisième film s’appelle d’ailleurs Paradis : Espoir). S’il n’est pas conseillé à ceux qui refusent un cinéma sans concession et aussi dérangeant que de l’alcool sur une plaie ouverte, le cinéma d’Ulrich Seidl terminera sous forme d’électrochoc le tour d’horizon d’une cinématographie allemande plus vivante que jamais, et paradoxalement trop rare sur nos écrans.

Bastien Martin
Avril 2013

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Bastien Martin est chercheur en Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales portent sur le cinéma d'animation belge.



1 La Femme incomprise est le centre de plusieurs films du mouvement.