Festival Émulation

L’émergence théâtrale, sujet à réflexion

La jeunesse mise en scène 

Tous les deux ans à Liège s’organise le Festival Émulation. Initiative du Théâtre de la place, ce projet met les jeunes compagnies de la région Wallonie-Bruxelles à l’honneur. Pour sa cinquième et dernière édition place de l’Yser, le festival se déroulera non pas en automne, mais du 19 au 27 avril 2013. En une semaine, cinq pièces de cinq jeunes compagnies seront présentées dans cinq lieux différents. Cette année, chacune d’elle part d’un texte. Focus.

Création du Collectif Impakt, Blackbird raconte l’histoire de Ray et Una, deux anciens amants. L’un a tourné la page, l’autre est toujours « là-bas ». Una parcourt 700 kilomètres, après 15 ans de séparation, pour retrouver l’homme qui l’avait séduite. Avec un texte de David Harrower, Sarah Lefèbvre et Jérome de Falloise  – les deux seules personnes sur scène – proposent au spectateur un échange verbal et corporel. Témoin par effraction, le public découvre le passé des personnages livré par un langage brut. Le spectateur se trouve mêlé à une intimité à laquelle il ne peut échapper. Cette ambiance est renforcée par l’éclairage clair-obscur et la proximité entre public et acteurs. Dans la grande salle du Théâtre de la Place, acteurs et spectateurs se trouvent sur scène. Proximité, tension et dialogue intense s’assemblent pour former une pièce où l’on aborde le sujet du mensonge et celui du passé. Dans ce questionnement permanent, le jugement est pourtant impossible : il n’y a pas une vérité unique.

goutteDes Gouttes sur une Pierre Brûlante se présente sans détour comme « une comédie avec fin pseudo-tragique ». La fin n’est ni l’œuvre du destin ni accidentelle. Le rire vient de l’absence totale de satisfaction morale. Comédie donc, la pièce présente l’histoire de Léopold, un homme accompli de 35 ans, et Franz, 19 ans, fiancé à Anna. Ils forment bientôt un couple, mais leur relation ne tarde pas à se flétrir. L’homosexualité et la différence d’âge sont ici des thèmes secondaires. On aborde surtout la relation, les dominations, soumissions et violence morale. Caspar Langhoff, metteur en scène, travaille également, à travers le texte de Fassbinder, sur ces années où tout était permis. L’idée de conformisme est mise en avant. D’ailleurs, la traduction correcte du titre de Fassbinder, « Goutte d’eau dans l’océan », exprime le fait de faire un effort dans le bon sens qui reste quand même insuffisant. Le texte a permis un travail sur des acteurs distancés et incarnés. Mais le défi reste sans doute d’adapter la pièce au cadre du Pôle image, car le lieu où le collectif L’Épongerie l’a créée a nourri leur imaginaire.

languesLes langues étrangères, pour sa part, joue davantage sur le visuel. Cette création du Vivarium tremenS rassemble plusieurs arts : théâtre, musique et funambulisme. Bien que le texte de François de Saint-Georges soit présent, la scénographie tient une place importante dans la pièce : 30 mètres de profondeur, porte-voix, concert et fil tendu en hauteur, etc. La compagnie, ayant déjà joué en extérieur, essaye cette fois de ramener cette expérience à l’intérieur, au Manège de la caserne Fonck. L’histoire est celle d’une compositrice russe d’une soixantaine d’années qui rassemble sa famille proche, car elle va disparaître. Elle les convie afin qu’ils jouent sa dernière composition. Le choix de l’âge du personnage n’est pas anodin : la troupe souhaitait rendre hommage aux personnes plus âgées, à ces gens malins et sages envers lesquels on ressent un sentiment d’amour/haine. Sur scène, la compositrice sera accompagnée de huit autres personnes.  Ample, ce spectacle se veut toutefois intimiste. 

Expression consacrée chez les Grecs, la tragédie s’apparentait presque à un théâtre de propagande. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Présenté à la salle Georges Truffaut, Moi, Oreste, ayant égorgé ma mère… est le dernier épisode de la Guerre de Troie. Euripide écrit cette pièce lorsqu’Athènes perd sa place de ville dominante. Oreste et sa soeur se voient condamnés à mort pour le meurtre de leurs parents. Le premier va ensuite tenter de tuer Hélène – cause de tous les malheurs – pour s’amender. Cette aventure rocambolesque et rapide reste dominée par un sentiment d’incompréhension absolu. À la fin, Apollon annonce d’ailleurs qu’il ne faut pas chercher un sens à la pièce. Pessimiste, elle appartient presque à la comédie. Cet amalgame entre les deux genres intéresse Sébastien Monfè, metteur en scène. Il s’agit de réinterroger des histoires, de s’intéresser à l’expression de la douleur face à l’espace public. L’essentiel de ce travail était avant tout de rendre la représentation accessible aux spectateurs qui ne seraient pas de grands connaisseurs de la tragédie.

eve« Emporter les spectateurs dans un voyage psychédélique et sensible », tel est l’objectif de Pourquoi Ève vient-elle chez Adam ce soir ? jouée à la salle Le Corridor et créée par le collectif UBIK. Pour ce faire, le spectateur rejoindra Adam, à un moment quelconque de sa vie, laquelle est animée par des événements absurdes. Comme Langues étrangères, la pièce bénéficie d’une scénographie importante. Les personnages évoluent dans un espace clos, une boite vitrée. Les lumières et le son nourrissent le spectacle. Ce dispositif atypique a pour but d’englober le téléspectateur, de l’immerger dans le théâtre. Le rapport au présent est le sujet abordé tout au long de la pièce. Cette lifebox dans laquelle évoluent les acteurs représente un lieu fermé, caché. Elle s’inscrit dans ce projet comme une suspension du temps. Ève, quant à elle, guidera Adam vers les frontières de son esprit.

reveUne dernière pièce bonus – et gratuite – sera présentée dans le cadre des soirées « cartes blanches ». Blackbird et Pourquoi Ève vient-elle chez Adam ce soir ont été créées dans le cadre de ces soirées. Avec ce projet, l’École Supérieure d’Acteurs du Conservatoire de Liège (ESACT) a la possibilité de confronter ses acteurs en devenir aux réalités d’une création. Entre rêve et poussière rend compte de la société d’aujourd’hui où l’on doit réussir coûte que coûte. Élise est une enfant rêveuse. Elle fait beaucoup d’efforts, mais ne travaille pas bien à l’école. Ce spectacle, inspiré de l’enfance de David Daubresse, metteur en scène, était son projet de fin d’études.

Festivités et récompenses

L’ouverture du festival sera accompagnée du Spring Theatre Tour, organisé à l’occasion du 25e anniversaire de la Convention théâtrale européenne. Représentante du secteur du théâtre public, cette organisation soutient l’expression et la création. Après Stuttgart, elle s’arrêtera à Liège ce 19 avril pour découvrir le travail des cinq compagnies. À la fin de la semaine de représentation, celui-ci sera récompensé : le Jury International, présidé par Dominique Pitoiset, directeur du Théâtre National de Bordeaux, accordera un prix professionnel de 5000 euros. Cette somme permettra au gagnant de se perfectionner, voire d’envisager une tournée. Le Jury Jeune quant à lui, a pour tâche de décerner un prix « coup de cœur ».

La semaine ne se résume pas uniquement au travail. Après chaque représentation, le Celtic Ireland, quartier général du festival, accueille gratuitement toutes personnes souhaitant poursuivre la soirée. Au programme, concerts de genre divers : rockabilly, ska, blues… et même une soirée surprise ! Cet espace de rencontre facilite le dialogue avec les artistes et le partage. Après tout, le théâtre implique échanges et rencontres.  

En mettant l’accent sur les jeunes compagnies, le Festival Émulation promeut l’émergence théâtrale. Cette question n’est pas sans importance puisqu’elle a été le sujet du colloque Prospero, co-organisé par le Théâtre de la Place et l’ULg en septembre 2012. La réflexion qui en découle est très actuelle. Dans un monde théâtral en continuels recherche et renouvellement, les artistes cherchent à se faire connaître du public et à trouver leur place. Selon Nancy Delhalle, chargée de cours en Histoire et analyse du spectacle, l’idée du Festival Émulation est séduisante. Une telle organisation attire l’attention, les formes artistiques étant diverses et les sujets variés. Cet appel au public et aux professionnels rencontre un grand succès. « De plus en plus, les structures théâtrales organisent un festival à l’intérieur de leur programmation », explique-t-elle. Cela fait événement, attire l’attention des médias et dynamise aussi le rapport avec le public. « Attirer les gens au théâtre n’est pas chose aisée, les faire bouger de salle en salle est une idée originale, mais c’est aussi un challenge », défi relevé par le Théâtre de la place pour la cinquième fois.

Plus d'informations sur le site du Théâtre de la Place

Margaux Leroy
Mars 2013

crayongris2
Margaux Leroy est étudiante en1re année de master en information et communication, finalité spécialisée Journalisme

 

>>>> Voyez les critiques des six pièces présentées par des étudiantes en journalisme culturel



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