Ernest et Célestine

À la fin de ce mois de février 2014, Ernest et Célestine sera en compétition avec les productions Disney pour les Oscars... Sans surprise, le Magritte 2014 du Meilleur film lui a été attribué, ce 1er février.  Cela nous donne l'occasion de revenir sur la présentation qu'en avait faite Bastien Martin, doctorant en cinéma, spécialiste du cinéma d'animation belge :

Récompensé (à juste titre) du César du Meilleur Film d’Animation ce vendredi 22 février, le touchant Ernest et Célestine  vient de marquer, à bien des égards, un grand pas en avant dans l’histoire de l’animation belge. Belge ? Oui, car si le projet et le réalisateur principal sont français, nos compatriotes Stéphane Aubier et Vincent Patar ont su offrir au film, en tant que coréalisateurs, une identité particulière bien de chez nous. Petites précisions.

E- AfficheLa genèse d’Ernest et Célestine n’est qu’un vaste va-et-vient entre la Belgique et la France. Tout démarre des livres de Gabrielle Vincent (Belgique), lus par un producteur français désireux d’en faire un film et qui contacte Benjamin Renner (France) pour la réalisation, lequel demande le soutien des belges Stéphane Aubier et Vincent Patar pour mener le projet à bien. La production se fera en France mais la post-production fera un énorme crochet par Liège, chez Digital Graphics (qui créera un logiciel pour le film), avant d’arriver dans les salles. D’un point de vue purement technique et économique, il est vrai que le film est franco-belge, avec une majorité d’investissements faits en France. Pourtant, prétendre que le film est avant tout belge n’est pas si prétentieux que cela ; il suffit de se baser d’une part sur la personnalité des auteurs et d’autre part sur quelques données culturelles pour démontrer la théorie.

Patar & Aubier, la belgitude est un art

Si l’on s’en réfère au dossier de presse, voici comment Benjamin Renner décrit la répartition du travail entre lui et le duo belge : « Nous avons convenu de travailler ensemble sur le storyboard et le découpage, et que j’assurerai la création graphique du film. Il était convenu que Vincent et Stéphane interviendraient également à la fin, sur les bruitages, le mixage son et la musique ». Parallèlement, dans une interview accordée à Fabienne Bradfer et publiée le 19 décembre 2012 dans Le Soir, Patar et Aubier répondent de manière plus précise sur les aspects sur lesquels ils sont intervenus : « Le découpage, et aussi une certaine composition de l’architecture de l’univers d’Ernest et Célestine. Car en fait, on était proches de celui de Panique au Village où une action se passait en haut et l’autre en bas. La différence, c’est qu’ici l’un et l’autre s’ignorent complètement au départ. On s’est donc partagé les séquences, avec Benjamin Renner, en tâchant de reproduire au mieux les textes de Daniel Pennac.1 » L’information peut sembler anecdotique mais elle ne l’est pas, bien au contraire : Benjamin Renner doit être considéré comme principal réalisateur puisqu'en charge de la création graphique, les deux compères étant plus des « parrains » assurant la bonne fin du film.

Or, que pouvons-nous distinguer d’un point de vue visuel ? Certes, les influences avouées de Benjamin Renner sont clairement identifiables, de Paul Grimault (la ville des souris) au cinéma d’animation japonais (l’épure de Mes voisins les Yamada de Isao Takahata, la poésie et l’art du mouvement massif de Hayao Miyazaki), mais c’est surtout dans l’hommage rendu à l’univers de Gabrielle Vincent que le film puise sa force. La particularité d’Ernest et Célestine est d’avoir su, moyennant quelques légers changements, retranscrire à l’écran la qualité des illustrations à l’aquarelle de l’écrivain belge à l’heure du tout numérique. Toutefois, cette attention portée aux couleurs et à une forme d’épure n’est pas seulement le fruit de Gabrielle Vincent mais également une résurgence des premiers courts métrages de Patar et Aubier, l’époque Pic Pic André où l’animation se résumait à deux ou trois personnages sur un fond uni ou peu varié. Plus qu’une simple analogie, il faut voir là un prolongement du travail de réflexion sur l’animation initié par les deux réalisateurs belges, cet art de moins se concentrer sur la forme des personnages (les bords sont presque inexistants) que sur le déplacement des couleurs qu’ils entraînent dans un mouvement permanent, tantôt léger tantôt fulgurant (le burlesque, principalement Charlie Chaplin, est une référence absolue). Notons également, en guise de clins d’œil, quelques références gratuites aux personnages de Patar et Aubier disséminées plus ou moins subtilement dans le film (un poster de Panique au Village avec des ours, une peluche Pic Pic et la mention ironique « Pic Pic m’a tuer. André » inscrite sur le mur d’une cellule en prison).

 

EC-2

À gauche, l’œuvre de Gabrielle Vincent ; à droite, le résultat à l’écran après les retouches de Digital Graphics

 


 

1 Disponible ici. Consulté le 25 février 2013.

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