« La littérature espagnole actuelle n’est pas suffisamment ancrée dans le présent »

Invitée d’honneur de cette 43e édition de la Foire du Livre, l’Espagne envoie dix-huit auteurs nés entre 1947 et 1978 et issus de régions différentes.

Parmi eux figurent Javier Cercas (quatre romans traduits chez Actes Sud dont Les Soldats de Salamine et Anatomie d’un instant), Victor Del Arbol (La tristesse du Samouraï chez Actes Sud Noir), Ignacio Del Valle (Empereur des ténèbres et Les Démons de Berlin chez Phébus), Abilio Estevez, écrivain cubain installé à Barcelone (Ce royaume t’appartient, Le Navigateur endormi et Le Danseur russe de Monte Carlo chez Grasset), Javier Calvo (Le jardin suspendu, éditions Galaade), José Manuel Fajardo (plusieurs romans chez Métailié dont Lettres du bout du monde, Mon nom est Jamaïca), Alicia Gimenez Bartlett (huit livres chez Payot dont Un vide à la place du cœur et Le silence des cloîtres), Rosa Montero (sept romans chez Métailié dont Le Territoire des barbares et Des larmes sous la pluie), Carmen Posadas, Uruguayenne vivant en Espagne (Invitation à un assassinat au Seuil), Carlos Salem (quatre polar dans Actes Sud noir dont Je reste roi d’Espagne et Un jambon calibre 45) ou le philosophe Fernando Savater (plusieurs essais traduits, notamment au Seuil La vie éternelle: éloge des incrédules).

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Álvaro Ceballos Viro enseigne la littérature espagnole à l’ULg.

« Il est impossible de parler de cette littérature sans prendre en considération la littérature hispanique en général. Beaucoup d’écrivains latino-américains vivent aujourd’hui en Espagne, ce qui leur permet de se rapprocher des maisons d’édition et de participer à la vie culturelle du pays par des conférences, des lectures publiques et en participant à des foires littéraires. En Espagne, le marché du livre est bien plus important qu’en Amérique latine et le livre y est proportionnellement moins cher. »

« Qu’est-ce que la littérature espagnole a encore à dire au monde ? Si les romans de Mendoza, Cercas ou Montalban peuvent interpeller un public international, une partie importante de cette littérature est encore hantée par la guerre civile, qui en fut le grand thème pendant longtemps, ou par les premières années de l’après-guerre, la répression, les prisonniers politiques, etc. Certains livres parlent plus largement des implications de la guerre sur les femmes ou les enfants. Treize Rose rouges de Carlos Fonseca, par exemple, devenu un film, raconte l’histoire de treize femmes fusillées après la guerre civile pour leurs implications politiques. Juan Marse, lui, présente le pays en ruine vu par un enfant. À côté de cela, il existe une littérature dépourvue de vrai contenu, qui parle des problèmes sentimentaux, de couples. Très proche de la vie quotidienne, assez narcissique, elle manque de force et de complexité. Ce qui est absent dans la littérature espagnole actuelle, c’est une réflexion sur la démocratie espagnole telle qu’elle existe depuis 1978. D’où vient-elle ? Quels sont ses pêchés originels ? Etc. Il y a bien quelques bons romans qui abordent le sujet – ceux de Manuel Vicent ou Manuel Longares – mais ils sont trop peu nombreux. » 

« Barcelone et Madrid sont les deux grands pôles éditoriaux espagnols. Les maisons les plus importantes ont des bureaux dans chacune des deux villes. Mais il y a parfois de la rivalité entre elles. Voici un exemple. Le 23 avril, c’est la fête du livre à Barcelone. Traditionnellement, on offrait un livre aux hommes, une fleur aux femmes. Aujourd’hui, c’est indifférencié mais la coutume perdure. Cela peut représenter jusqu’à un quart des ventes de l’année pour les libraires. Or, le même soir, Madrid organise une manifestation concurrente : la nuit du livre. Un auteur peut théoriquement passer de l’une à l’autre mais, d’un point de vue commercial, ce n’est pas une bonne affaire pour les libraires madrilènes, il ferait mieux de faire ça un week-end. Ce qu’ils refusent par esprit de concurrence. »

« Il existe des écrivains de qualité non encore traduits en français. Par exemple Rafael Chirbes, un écrivain engagé qui analyse la société dans une perspective idéologique. Son roman Crematorio est un long monologue. Ou Manuel Longares qui joue sur plusieurs reprises, a beaucoup d’humour. »

Michel Paquot
Février 2013

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

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Álvaro Ceballos Viro enseigne la langue et la littérature espagnoles à l'Université de Liège.