« Le meilleur roman policier possède une dimension sociologique »

simenonJacques Dubois, coéditeur de Georges Simenon dans la Pléiade et auteur du Roman policier ou la modernité (A. Colin, 1996), raconte son amour pour la littérature policière.

romanpolicierComment avez-vous découvert le roman policier ?

Il me semble qu'il a toujours été là. Même si je lisais beaucoup d'autres choses, il a accompagné ma vie, j’ai même fini par lui consacrer des cours. Très jeune, je lisais la littérature feuilletonesque du 19e siècle : Dumas, Erckmann-Chatrian, Féval. Cela m'a forcément conduit à Conan Doyle, à Gaston Leroux, au récit d'énigme et d'enquête.

La seconde étape, ce fut le polar américain, le « hard boild ». J'y suis venu par snobisme. J’étais étudiant en Romanes à Liège et je savais que Jean-Paul Sartre lisait tous les « Série Noire » : Hammett, Thompson, Chandler, Goodis, etc. J'ai adoré cette littérature violente, mêlant amour, crime et corruption. C’est également à ce moment-là que j’ai lu mes premiers Maigret. Simenon était l'auteur de romans policiers qui introduisait un vrai réalisme dans la machinerie.

Qu’est-ce qui vous plaisait dans ces polars ?

La découverte, chez les Américains et chez Simenon, que le récit policier n’était plus un jeu purement artificiel (trouver le coupable), qu’il pouvait être autre chose. Le personnage du détective y cessait d'être une espèce de poseur, de dandy du genre Hercule Poirot, pour passer à une personne plus réelle, connaissant des échecs, dure au travail et s’intéressant à ceux qui tombent : les pauvres types qui tournent mal, les victimes, etc. Mais l'ingrédient énigmatique ne disparaissait pas pour autant. C'était l'alliance ou l'alliage des deux éléments qui rendait la lecture si excitante.

Et la dimension psychologique ?

Simenon, par exemple, réalise un bon équilibre entre interprétation psychologique et lecture sociale du monde. Quand il pénètre dans un intérieur, quand il investit un milieu donné, il voit vite de quoi il retourne et qui est qui. On pourrait parler à propos de Maigret de psychologie sociale. Son grand sujet, c'est la stratification, la division en classes mais il ne l'évoque que de façon oblique, par le biais des drames singuliers.

Pensez-vous que le polar nordique a repris la relève du polar américain ?

montalbancamillerijamesJe n'aime pas du tout Mankell, trop chargé, mais j'ai pas mal lu les Suédois Sjöwall et Wahlöö qui, par leur réalisme un peu lent, proposent une assez bonne analyse de la situation locale, ont beaucoup apporté au genre, un peu dans la lignée de Simenon. En les lisant, on apprend des choses utiles sur la société scandinave et son évolution. De même que sur l’Angleterre avec P.D. James, sur l’Italie avec Scerbanenco, la Sicile avec Camilleri, l’Espagne avec Montalban. Toute cette génération d’écrivains a introduit dans ses romans des éléments de culture au sens large. N’hésitant pas, par exemple, à parler de gastronomie dans le fil du récit (Pepe Carvalho cuisine et nous transmet des recettes catalanes). Il y a toujours, dans les romans policiers, une dimension journalistique dans le meilleur sens du terme. Simenon n’a pas été journaliste par hasard. Les meilleurs romans policiers sont riches en informations sociales alors que, dans le roman traditionnel, la dimension réaliste s'est fortement réduite.

C’est d’autant plus intéressant que ce genre policier est désormais mondial… Pendant longtemps, le roman policier n’a été présent que dans trois pays, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, où il a vu le jour dans la seconde moitié du 19e siècle. Or, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, des auteurs sont apparus dans d’autres pays, d’abord européens et puis ailleurs dans le monde, en Chine, en Afrique, etc. Cette internationalisation est plutôt réjouissante. Il y a deux ans, lors d’un colloque sur le roman policier à Moscou, une auteure russe m’a dit avoir vendu un million et demi d’exemplaires de son dernier livre. Déjà du temps de l’URSS, Simenon était traduit là-bas et il avait envisagé de léguer ses archives à l’Université de Leningrad. Le romancier de la classe moyenne triomphant à Leningrad, c'est pour le moins paradoxal.

Michel Paquot
Février 2013

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

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Professeur émérite de l'ULg,
Jacques Dubois est connu pour ses livres sur Proust et Stendhal et son édition en Pléiade de Simenon (avec Benoît Denis).

 

Voir le dossier consacré à Simenon




Auteurs policiers présents à la Foire du Livre : Didier Daeninckx, Barbara Abel, Michel Quint, Franck Tilliez, Raymond Khoury, Joël Dicker, Claude Izner, David S. Khara, Odile Bouhier, etc.


Vient de paraître :
simenon

Simenon
Collectif, sous la direction de Laurent Demoulin
Éditions de l'Herne, février 2013

Infos : http://www.editionsdelherne.com