Consacré à la période de conception de Psychose, le drame biographique Hitchcock, actuellement à l’affiche, transforme l’une des plus palpitantes aventures cinématographiques en une romance tiède. L’ombre de Psychose est peut-être encore à ce point écrasante que l’on n'ose évoquer ce film légendaire que de loin. De très loin.
Le titre même du film Hitchcock (première réalisation du scénariste Sacha Gervasi) pique la curiosité. S’inscrivant dans une tendance du biopic contemporain américain (Pollock d’Ed Harris en 2000, Ali de Michael Mann en 2001, Ray de Taylor Hackford en 2005, J. Edgar de Clint Eastwood en 2011, Lincoln de Spielberg en 2012, Jobs scénarisé par Aaron Sorkin et prévu dans les prochains mois), ou français (Sagan de Diane Kurys en 2008 ou Cloclo de Florent Emilio en 2012, pour ne citer que ceux-là), il met en exergue le nom de la personnalité au centre du film, et juste son nom, un nom qui doit à la fois exhaler et fédérer. Autrement dit, une marque. Car, à l’instar d’autres productions du même acabit, il ne s’agit aucunement dans Hitchcock de raconter de manière plus ou moins complète la vie du personnage ou d’explorer de manière quelque peu sensible ou profonde la personnalité du sujet. Le film s’attache plus modestement à une période biographique ou à un événement de sa vie particulièrement emblématique, sous un titre supposé vendeur, comme une marque de voiture ou d’informatique, sauf qu’il s’agit en l’occurrence ici, au vu de l’activité et de la réputation très particulière du personnage qui constitue le sujet du film, d’une marque de cinéma (« Hitchcock », comme valeur sûre).
Juste retour des choses après tout, Hitchcock s’étant lui-même servi de la médiatisation de son personnage pour « vendre » ses œuvres, que l’on pense à ses fameuses apparitions dans ses films, sa silhouette et sa voix reconnaissables entre mille pour les bandes-annonces de ses longs-métrages ou simplement son nom pour les séries télévisées Alfred Hitchcock Presents (1955-1962) et The Alfred Hitchcock Hour (1962-1965). Ainsi, sous le « label Hitchcock », Gervasi choisit de concentrer son film sur le moment de création de Psychose, de sa conception à sa sortie en salle (1960), et prétend précisément interroger, à travers une biographie romancée, la marque de fabrique de celui qui devait devenir l’une des figures les plus auteuriales du cinéma hollywoodien. Ce projet ne se réalise toutefois pas sans un certain nombre de maladresses ou de simplismes.
Composé à partir de l’ouvrage de Stephen Rebello (Alfred Hitchcock and the Making of Psycho, paru chez St. Martin’s Griffin en 1990) qui détaille, à partir de nombre d’archives et de témoignages, les coulisses de la production et de la réalisation de ce film hors-norme, le sujet est effectivement passionnant. Installé depuis une vingtaine d’années à Hollywood, Hitchcock sort encensé par la critique du succès populaire de North by Northwest (La Mort aux trousses, 1959). Il a déjà une cinquantaine de films derrière lui, dont les chefs-d’œuvres Notorious (Les Enchaînés, 1946), Strangers on a train (L’Inconnu du Nord-Express, 1951), Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954), ou bien entendu Vertigo (Sueurs froides, 1958). Le maître du suspens, de l’avis de beaucoup, est arrivé au summum de sa carrière.
C’est dans ce contexte glorieux que « Hitch » cherche un nouveau projet. L’inspiration lui vient à la découverte d’un roman d’une rare violence de l’écrivain et scénariste Robert Bloch, inspiré par le tristement célèbre « boucher de Plainfield », le tueur en série Ed Gein, arrêté en 1957. Particulièrement macabre, le cas de ce meurtrier et violeur de sépulture (il conservait chez lui des dizaines d'objets fabriqués à partir de cadavres déterrés) allait durablement marquer l’imaginaire horrifique américain (Meurtre à la tronçonneuse de Tobe Hooper en 1974 ou Le Silence des agneaux de Jonathan Demme en 1991 y font référence). Mais le sujet effraie les producteurs et la Paramount refuse de soutenir le cinéaste, malgré sa renommée. Persuadé de tenir le sujet d’un film qui renouvellera profondément son travail, mais aussi la conception même du thriller cinématographique, Hitchcock prend le risque de produire lui-même le film. Choisissant ses collaborateurs avec un immense soin, comme à son habitude, comptant sur l’indéfectible soutien de son épouse Alma (incontestablement sa plus proche collaboratrice pour la conception des films, même si sa présence sur les plateaux de tournage était extrêmement rare), Hitchcock se lance dans la création de Psycho qui allait effectivement participer à considérablement modifier le champ de production hollywoodien, déjà en crise. Psycho reste d’ailleurs encore aujourd’hui un modèle indépassable du thriller, comme s’est amusé à le montrer Gus Van Sant dans son remake de 1998 qui reproduit quasi à l’identique le film original.