El delirio final de los ultimos romanticos
Des milliers de post-it jonchent le mur, une lumière fébrile, beaucoup de livres, une table, une tombe et un WC (qui servira à citer Duchamp, évidemment) : le décor est planté ! Nous retrouvons cinq jeunes chiliens, qui au bout de quatre ans d’enfermement et d’une mort qu’on nous dira « accidentelle », atteignent un délire paroxysmique. Ils ont enfin trouvé l’idée théâtrale qui changera le monde. De vrais enfants noirs victimes de la famine accueillis par Jean-Claude Van Damme et un caniche symbole de bourgeoisie, le tout se ponctuant par une véritable immolation. Seule la réalité pourra heurter le public à tel point que sa conscience n’en sortira pas indemne. Aboutissant à des lieux communs aussi improbables qu’incroyables, cette hallucination créative sert de point de départ à une réflexion plus grande. L’utopie, la révolution, la politique mais également les relations humaines sont abordées par l’absurde et plongent inéluctablement le public dans une remise en question.
Comme un pavé jeté dans la marre, « Nous sommes une génération qui n’a rien vécu » est la première phrase du spectacle. Aphorisme quelque peu cruel, cette sentence impitoyable résonne dans le cœur de chacun. Le « Guevara » en nous se meurt pour laisser place à une petite voix arrogante et moqueuse qui rigole du peu de révolte dont nous étions encore capables. Chacun l’aura sans doute vécu de manière différente et unique mais le spectateur sera, à un moment ou un autre, plongé dans l’embarras aussi bien intellectuel que physique. Les multiples effets allant du larsen au silence le plus assourdissant soutiennent le propos narratif au point de sentir ce qu’on appelle communément « la boule au ventre ».
Rien à dire non plus du jeu d’acteur qui porte admirablement ce bijou artistique. Sans jamais tomber dans un surjeu qui ne serve le propos, les personnages crient à en perdre la voix, sautent, courent, pleurent, chantent, dansent et se mettent à nu (aussi bien au sens figuré qu’au sens propre). Cette ébullition volontaire est ponctuée par des moments de véritable émotion, du moins c’est ce qu’on nous laisse croire durant quelques minutes ! Ce qui commence en mélodrame se termine dans un tel pathos qu’il en devient ironique et hilarant. Nous voici à nouveau bernés par ces acteurs qui, tombant volontairement dans les clichés, nous font passer du rire aux larmes. Le présupposé, dernier rempart de la pensée critique, est exploité de manière récurrente afin de devenir un outil paradoxal de réflexion.
La chute du spectacle, à l’image du reste, est orchestrée d’une main de maître. Un courrier leur annonce que le nouveau gouvernement en place a réussi à éradiquer la faim dans le monde ainsi que les injustices sociales. L’égalité absolue entre les êtres humains, utopie par excellence, existe à présent et le théâtre politique n’existe plus. C’est évidemment…un drame ! Secoués par la nouvelle, ces révolutionnaires artistiques n’ont plus de raison de se battre et malgré l’atteinte de l’objectif, ils sont effondrés. Le désenchantement total vient confirmer ce que, au fond, nous savions depuis le départ et que ces derniers romantiques sont bien plus au service de leur ego qu’au service de l’humanité ! Pas de combat sans injustices et pas de raison de vivre sans combat. Le théâtre engagé, motif principal de leur enfermement de départ, n’existera plus. Le spectacle atteint son paradoxe final.
Paradoxe incontrôlé, absurdité démontrée et utopie désenchantée. La boucle est bouclée !
Maria-Helena Sanchez Fernandez
Mars 2013