La grande et fabuleuse histoire du commerce de Joël Pommerat

commerceL’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat présente aux spectateurs du Festival de Liège  La grande et fabuleuse histoire du commerce. Après, entre autres, Les Marchands, Cet Enfant  et Je tremble , il met cette fois en scène cinq représentants de commerce.

La pièce narre deux situations : l’une se déroule en 1968 où quatre roublards forment un nouveau venu au sein de leur groupe, l’autre prend place au début de ce siècle où un jeune homme plein d’ardeur coache quatre loosers.

Cette pièce ne déroge pas à l’utilisation habituelle de certains effets qu’affectionne Joël Pommerat1. Le cadre de scène réduit accentue l’effet d’enfermement procuré par le décor épuré d’une chambre d’hôtel de province. La froideur de la chambre d’hôtel glace autant que le propos. Le cloisonnement scénique accentue le repli sur soi que chaque personnage éprouve. Les lustres apportent une lumière aussi faible que l’épanouissement que ces vendeurs éprouvent dans leur travail. Le bilan de la journée qu’ils y font est d’ailleurs peu glorieux.

Cette évolution de l’état du commerce entre ces deux époques n’est que prétexte à décrire des changements au sein de la société avec des rapports entre les hommes de plus en plus individualistes. En 1968, les quatre vieux loups aident un jeune homme à mettre le pied à l’étrier malgré son apparente incapacité à vendre. Bien que la solidarité au sein de ce groupe soit fragile elle l’est tout autant dans le groupe formé au cours des années deux mille. En effet, lorsque le jeune chef aborde le dilemme de renvoyer le plus looser de tous ou que les autres acceptent de partager leur profit avec ce dernier, le choix est vite fait. En une trentaine d’année, le climat semble être devenu plus mercantile et l’accès vers une production plus intensive toujours plus envié.

L’acte de vente n’est pas montré, il n’est que prétexte à mettre en scène des rapports humains. Bien que la confiance soit le mot d’ordre du groupe, celle-ci est illusoire. Les relations humaines que Pommerat décide de mettre en scène sont aussi sombres que son univers. Lorsqu’il s’agit de passer un contrat avec un éventuel client, il faut écouter, compatir, mettre en confiance sans pour autant perdre son objectif de vue. Les vendeurs doivent être les confidents d’une misère à laquelle ils doivent rester imperméables. La mission est simple sur papier : il suffit de vendre. Cependant, tout se complique quand il s’agit de rencontrer les gens. Idéalement il faudrait mettre tout sentiment de côté. Car si ceux-ci sont de la partie, la situation dans laquelle se trouvent les gens qu’ils visitent les attendrirait et vouerait la signature à l’échec. Il ne faut pas « vendre », la consigne dit de ne pas aborder le sujet car un bon vendeur est quelqu’un qui semble ne rien vendre.

La gamme des sentiments éprouvés par les personnages est jouée avec retenue. Le jeu contraste avec la dureté des sentiments. En plus  de permettre aux acteurs de jouer sans en faire trop, le port de micros glace encore l’atmosphère. Les voix fatiguées témoignent de la lassitude quotidienne de ces vendeurs (interprétés par Patrick Bebi, Hervé Blanc, Éric Forterre, Ludovic Molière et Jean-Claude Perrin).

Si la noirceur est de mise, l’humour utilisé ne peut être que cynique. En effet, que penser de vendeurs sans scrupules quant à l’arnaque qu’ils effectuent lorsque le spectateur prend conscience de l’objet vendu : une arme à feu à blanc ou un guide des droits humains ?

L’entièreté du développement de cette « histoire du commerce » est d’une linéarité sans pareil. Pour ce spectacle, Pommerat semble s’être attaché plus au propos qu’à sa manière de le mettre en scène. Le contrôle des émotions associé à l’absence de changement de rythme conduit le spectateur à éprouver une certaine lassitude. Cette mise en scène n’apporte pas l’émotion que le metteur en scène parvient habituellement à transmettre au public.

Sylvie Grégoire
Mars 2013

 

crayongris2Sylvie Grégoire est étudiante en 1re année de master en Arts du spectacle