Les Enfants de Jéhovah, de Fabrice Murgia

jehovahDans sa pièce Les Enfants de Jéhovah, le jeune créateur et metteur en scène Fabrice Murgia nous livre une histoire romancée mais personnelle qu’il transforme en une expérience collective. 

Cette histoire personnelle c’est celle de sa grand-mère, une immigrée italienne, tombée dans l’enfer des sectes.  Mais c’est aussi celle de son père, excommunié.  Dans ce spectacle, cette mère italienne se laisse happer tellement profondément par la communauté des frères de Jéhovah qu’elle en oublie de veiller sur ses enfants.  Son fils est mort aux yeux de sa nouvelle famille et donc à ses yeux également.  Il lui reste sa fille mais cette dernière est rongée par le doute.  Elle remet en question le sens de son existence tout en restant prisonnière des préceptes qui lui ont été enseignés toute son enfance.  Se nourrissant d’interviews, de témoignages et de rencontres, le metteur en scène nous livre une pièce qui donne un aperçu des dégâts que ce genre de groupes sociaux peut avoir sur la vie des membres d’une même famille.

S’interroger sur la place de l’individu dans les réseaux sociaux est un thème récurrent chez le jeune metteur en scène.  Il s’attache à placer ses personnages dans des problématiques actuelles et générationnelles, celles d’un monde où l’homme s’isole et a de plus en plus de difficultés à communiquer.  Un monde où, pourtant, les modes de communication ne cessent de se développer et de se multiplier via des univers tels que l’informatique et la téléphonie.

Dans Les Enfants de Jéhovah, c’est au travers d’une jeune mariée, fille d’immigrés et appartenant à la secte de Jéhovah que le metteur en scène questionne la société actuelle.  Murgia montre comment les générations actuelles se positionnent face à leur histoire et face aux choix de leurs parents.  Dans la pièce, la jeune femme vit ce passage difficile de l’adolescence à l’âge adulte et se demande où sont passés ses rêves d’enfants.  Elle veut parler à son frère mais la communauté l’en empêche.  Elle l’espionne chaque jour pourtant mais reste incapable de l’approcher.  Elle s’adresse alors à lui via un message vidéo.  Elle est incapable d’entrer en contact direct et choisit un rapport passant par la technologie.  C’est en cela que le jeune metteur en scène touche sensiblement sa génération, dans sa capacité à exprimer la disparition du lien social, l’influence des nouvelles technologies et la solitude qui en ressort.

Fabrice Murgia s’attache à toucher un jeune public au travers de ses thèmes mais également au sein de la scénographie.  Dans son travail, il manie à la fois l’univers des arts de la scène et celui des nouvelles technologies.  La caméra fait aujourd’hui intégralement partie de ses spectacles.  Dans Les Enfants de Jéhovah, le décor est simple et épuré.  Il intègre ainsi parfaitement les projections d’interviews, d’archives, de films d’animation et la projection en direct. 

Le texte et l’interprétation sont cependant les deux traitements clés de ce spectacle.  Le texte est travaillé pour mettre en lumière la véracité du témoignage. L’interprétation également, surtout par le travail de la voix.  Celle-ci participe fortement à créer l’identité des personnages.  La première femme sur scène a une voix abîmée, rauque. Elle ne maîtrise pas parfaitement le français et possède un accent fort prononcé.  Cette voix, c’est celle d’une mère italienne qui a affronté de nombreuses difficultés telles que la perte d’un enfant, l’immigration et le charbonnage.  La deuxième femme, sa fille, a une voix tour à tour alourdie de sanglots, criarde de colère ou faible de tristesse.  Rongée par le doute, elle s’interroge sur  le sens de sa vie.  La troisième femme représente la secte de Jéhovah.  Sa voix n’est ni féminine ni masculine.  C’est une voix électronique, morte et sans âme qui représente la multiplicité de la communauté s’exprimant au travers d’un discours unique, celui de Jéhovah.  Ces trois voix perdent de leur autonomie par moment.  Elles se superposent ou bien se suivent.  Ces traitements illustrent tout l’engrenage dans lequel ces femmes sont prises.      

Fabrice Murgia démontre qu’il est parfaitement possible de jongler entre les différentes pratiques artistiques sans, pour autant, faire disparaître la singularité de chacune.  En cela et dans les thématiques qu’elle aborde, cette nouvelle pièce s’inscrit parfaitement dans la continuité du travail du jeune metteur en scène.  En partageant cette expérience personnelle, Murgia met en garde son public contre les dangers de la solitude et contre ceux de trouver un refuge inadéquat tels que le sont les sectes mais aussi les réseaux sociaux. 

Maureen Dervaux
Mars 2013

crayongris2Maureen Dervaux est étudiante en 2e année de master en Arts du spectacle, finalité Spectacles et images numériques.