Alexis, una tragedia greca, par la Cie Motus
Dans le cadre du Festival de Liège, la compagnie italienne Motus a fait vibrer le Théâtre de la Place au rythme d’Alexis, une tragédie grecque. Cette pièce, mise en scène par Enrico Casagrande et Daniela Nicolò, revient sur l’assassinat d’un jeune grec par un agent de police dans les rues d’Athènes : mêlant une actualité brûlante et des extraits d’Antigone, elle nous offre une réflexion profonde sur les révolutions contemporaines.

Alexis12008, Athènes. À la lisière du quartier anarchiste d’Exarcheia, une dispute éclate entre des policiers et un groupe de jeunes. L’un des agents sort son arme et tire, tuant Alexis Grigoropoulos d’une balle en plein cœur. Dans un contexte social et économique fragilisé, la mort de cet adolescent de quinze ans – qui rappelle douloureusement celle de Michalis Kaltezas en 1985 dans des circonstances similaires – soulève une vague d’indignation dans le pays entier : en tirant sur Alexis, c’est sur toute une génération qu’ils ont tiré, une génération révoltée qui envahit les rues pour manifester contre le pouvoir en place.

À travers le projet Syrma Antigonés, la compagnie Motus confronte depuis plusieurs années l’Antigone de Sophocle et de Brecht – symbole d’insoumission et de révolte – avec la société contemporaine. En se penchant sur ces insurrections grecques, Enrico Casagrande et Daniela Nicolò tentent de découvrir qui sont les Antigone modernes : au delà de l’Athènes mythique et de la ville actuelle, ils nouent un questionnement politique à portée internationale. La figure d’Alexis se confond avec celle de Polynice (tué par son propre frère Étéocle), et l’indignation de la jeunesse athénienne semble suivre les pas d’Antigone. Sur les planches, cette dernière est incarnée par Silvia Calderoni ; loin de la figure classique de l’héroïne de tragédie, cette comédienne à l’énergie brute, résolument ancrée dans son époque, joue avec le public autant qu’avec ses acolytes Vladimir Aleksic, Alexandra Sarantopoulou, et Massimiliano Rassu. Ce carré d’acteurs maintient tout au long du spectacle un équilibre subtil entre action et réflexion : si Alexis, une tragédie grecque fait preuve d’un engagement politique féroce, il ne néglige pas pour autant la distanciation nécessaire à une création de qualité. 

Dans un décor d’une grande sobriété, danse, vidéo et théâtre se conjuguent pour recréer l’embrasement des rues d’Athènes. Les témoignages réels – fruits d’un long travail d’enquête sur le terrain – répondent au texte de Brecht, mais aussi aux images des manifestations et aux graffitis qui ornent depuis les murs de la capitale. Le jeu fébrile des comédiens, constamment en mouvement, transforme ce théâtre documentaire en performance survoltée ; la bande sonore puissante vient se mêler au souffle saccadé de Silvia Calderoni. Lumières rougeoyantes, fumigènes, flammes dansant sur une table : le spectateur est plongé au cœur de la révolte. Le carré rouge qui définit l’espace de jeu au sol est une frontière sans cesse transgressée : l’action se prolonge dans la salle, brisant le mur invisible qui sépare les comédiens du public. Cet échange intense culmine lorsque les acteurs invitent les spectateurs à les rejoindre sur scène. Quatre, puis cinq, puis six, puis dix, puis vingt... Qui, comme Antigone, se lèvent et font face.

Alexis, une tragédie grecque ne résume pas à une réflexion sur la situation politique actuelle et sur le rôle que peut y jouer le théâtre : c’est aussi une invitation à l’action. Cette production hybride, qui transforme un long travail de documentation en un happening percutant, est une gifle tant visuelle qu’idéologique. 

Julie Delbouille
Mars 2013

 

crayongris2Julie Delbouille est étudiante en 2e master de médiation culturelle.