Le théâtre de Liège

2010-2012, une rénovation intelligente et respectueuse

Une nouvelle salle de répétition aux dimensions du plateau, la rehausse de la cage de scène, la révision de la sécurité, un plus grand confort, des moyens techniques accrus… Autant d’entreprises jugées indispensables à la survie et à la modernisation de l’Opéra. L’objectif était double : l’institution devait disposer de moyens techniques qui lui permettraient de rivaliser avec d’autres grandes maisons sur la scène internationale, et le patrimoine architectural wallon s’en trouverait bien sûr valorisé. Pour ce faire, ces travaux n’allaient pas être entrepris à la légère : ils sont le fruit d’une étude lithologique, réalisée par Francis Tourneur, d’une étude structurelle, d’une analyse des enduits et des traitements picturaux appliqués sur les façades, ainsi que d’une étude précise des décors intérieurs – les deux dernières ayant été menées par le géologue Dominique Bossiroy.

Vue de la grande salle de spectacle après la restauration, état en juin 2012
Photo Guy Focant © SPW-Patrimoine

09bL’ouvrage nous offre une véritable visite guidée de l’opéra, littéralement de fond en comble. L’on y découvre, en texte et en images, le foyer, la salle de spectacle, mais aussi les charpentes, les différents états d’avancement des travaux de restauration, la construction de la nouvelle salle de répétition, avec un panorama de la ville d’un point de vue assez inédit. Le grand foyer a retrouvé son apparence originelle, reconstituée grâce à des sources iconographiques. Pour l’anecdote, les travaux y ont permis de découvrir que les lustres dudit foyer présentaient de graves défauts techniques et esthétiques. Ils ont donc dû être remplacés par de nouveaux lustres en verre de Murano.

La salle, elle aussi, a été rénovée, mais également réaménagée dans un souci d’amélioration acoustique. La fosse d’orchestre a par exemple été détruite et reconstruite, car sa structure antérieure enfermait le son au lieu de le diffuser vers la salle. La nouvelle fosse  peut adopter une géométrie variable selon l’importance de l’orchestre.

La salle gagne également en confort pour les spectateurs grâce entre autres à des bouches d’air, disposées sous les pieds des spectateurs et pulsant l’air à très faible vitesse pour ne pas les indisposer. Si les travaux ont réduit les places disponibles au parterre pour le confort des spectateurs, ils en ont au contraire augmenté le nombre aux quatrième et sixième balcons. Le théâtre compte désormais 1020 places. Remarquons encore que les personnes à mobilité réduite voient leur accès facilité par l’augmentation du nombre de cages d’ascenseur.

Notons aussi que le soin apporté à l’aspect sécuritaire a permis à l’opéra d’obtenir le fireforum Award 2011 récompensant un concept de bâtiment contribuant à l’amélioration de la sécurité incendie des personnes et des biens.

Plus de 300 ans d’histoire lyrique

L’ouvrage de Frédéric Marchesani comble enfin un vide en matière de publications relatives à l’histoire du plus prestigieux théâtre liégeois. En effet, le premier à avoir traité de l’histoire institutionnelle du théâtre est Jules Martiny. Il publie en 1887 une somme intitulée Histoire du théâtre de Liège depuis ses origines jusqu’à nos jours dans laquelle il étudie l’activité lyrique liégeoise depuis 1735.  Un autre ouvrage, publié par l’association des amis de l’ORW en 1995, La genèse d’un opéra. Le théâtre de Liège, en 1820 étudie les origines du théâtre, tandis que plusieurs livres reviennent, depuis 1987, sur l’histoire de l’Opéra depuis la création de l’asbl « Opéra de Wallonie » fondée en 1967. Il apparait donc qu’une période d’environ quatre-vingts ans (1887-1967) était jusqu’ici passée sous silence.

La salle de spectacle de la ville de Liège, lithographie de Madou © Trésor de Liège

11bLa tradition théâtrale liégeoise est déjà bien ancrée au Moyen Âge. Cette tradition est surtout ecclésiastique avec la représentation des miracles. Au 15e siècle, les cloîtres de la collégiale Saint-Barthélemy, notamment, accueillaient des Mystères, puis à la fin du 16e, les Jésuites donnaient des ballets à l’emplacement de l’actuelle bibliothèque générale de l’Université de Liège. Conjointement, des troupes itinérantes se produisaient un peu partout dans la ville. Le 7 février 1697, un opéra italien est joué pour la première fois à Liège à la cour du Prince-Évêque Joseph Clément de Bavière, et le 5 août 1735, le sieur Pirotte et madame Armand, entrepreneur et comédienne, reçoivent l’autorisation du Prince-Évêque en place de construire une « baraque pour la comédie sur la Batte ». Ce sera le premier établissement théâtral liégeois. Plus tard, le conseil communal décide, le 7 février 1767, de « procurer au public l’agrément d’une salle de spectacle et de satisfaire par là une demande presque générale ». Un bâtiment existant, dit « de la Douane » ou « Halle aux blés » situé à hauteur de la rue Saint Jean-Baptiste est alors choisi pour accueillir le projet. L’on y jouera de l’opéra et de la comédie, et les activités se poursuivront même lors des troubles de la révolution liégeoise de 1789, et ce jusqu’à  l’incendie de 1805.

L’inauguration du nouveau bâtiment a lieu en 1820. L’ouvrage raconte les tumultes qu’a connus l’opéra lors de ses dix premières années, comme cette représentation du 27 octobre 1828 où le baryton Becquet fit venir le directeur sur scène, après un différend, pour l’injurier en public. Mais l’événement marquant de ces années a lieu en 1830. Le 12 avril, la première de l’opéra d’Auber, La muette de Portici, est donnée à Liège, avant d’être au programme de la Monnaie peu de temps après. Si la pièce ne provoque pas immédiatement les soulèvements qui ont mené à l’indépendance de la Belgique, le théâtre servit de corps de garde aux volontaires liégeois qui désiraient suivre Charles Rogier dans sa marche vers la capitale. L’on y distribuait des armes, l’on y dormait… Lors de la saison suivante, le ténor Auguste Sanse chante alors La Liégeoise sur l’air de La Marseillaise.

De nombreuses péripéties animent les saisons de l’opéra, qui est repris par la ville en 1854, jusqu’à la première guerre mondiale. Il serait impossible de détailler dans ces lignes toutes les productions mémorables réalisées en plus d’un demi siècle, mais évoquons Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne, joué en 1877, qui, malgré les difficultés financières de l’institution, comptait des décors de qualité, un corps de ballet composé de trois danseuses étoiles et de vingt-cinq danseuses, un orchestre de trente musiciens, et qui, surtout, voyait apparaître un éléphant dressé qui obéissait, sur scène, au moindre geste. Peu après, le 2 décembre 1878, le directeur Léon Elté, inspiré par la scène parisienne, choisit de faire descendre un rideau-annonce afin de générer quelque profit bien nécessaire. L’initiative est accueillie d’abord froidement, mais le public se fait ensuite à la chose.


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