Le Festival de Liège, un oeil ouvert sur le monde
Du 18 janvier au 9 février, la scène liégeoise accueille la sixième édition du Festival de Liège. Depuis douze ans, cet événement qui allie théâtre, danse, musique et cinéma porte un regard incisif sur notre société actuelle, par le biais d’un programme riche en créations engagées.

Le Festival de Liège, c’est avant tout un festival à l’identité forte. Tant par sa richesse culturelle — avec des spectacles en provenance de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Italie, d’Irlande, ou encore de Turquie et du Chili — que par sa démarche artistique : «Le théâtre peut dire le monde et, oui, il peut le réinventer, secouer les consciences, reculer les frontières, changer les regards, refléter les grandes questions de son temps» affirme Jean-Louis Colinet, organisateur de l’événement et actuel directeur du Théâtre national à Bruxelles.

Cet engagement, qui a su fidéliser un large public, est cette année encore inscrit au coeur de la programmation. Lieu d’échanges et de débats, le Festival interroge sans complaisance la crise qui secoue notre quotidien et fait faire trembler nos démocraties occidentales. Les problématiques qu’il pointe sont universelles : la pauvreté, l’isolement, la violence, la manipulation, la perte. L’affiche 2013 laisse la part belle à quelques fidèles des précédentes éditions, qui empoignent ces thématiques et les jettent sous le feu des projecteurs.

Ascanio Celestini, figure de proue du théâtre-récit italien, entame les festivités avec son très attendu Discours à la nation. S’il reprend un thème déjà abordé par le passé — les rapports entre classe dominante et dominée — il adopte un point de vue différent et peu commun, celui des dirigeants : «Quand la “classe dominante” souhaite obtenir quelque chose de la classe dominée, elle doit s’exposer, se rendre visible. C’est un risque pour elle, et cela la rend souvent grotesque». Le texte de Celestini, à la fois mordant et facétieux, nous emmène de discours électoraux de politiciens en témoignages de simples citoyens ; il est, fait exceptionnel, interprété par le belge David Murgia, très en vue depuis la sortie sur les écrans de La tête la première d’Amélie Van Elmbt.

Son frère Fabrice figure également à l’affiche. Ensemble, ils lèvent un pan du voile sur leur histoire familiale, avec Les enfants de Jéhovah ; outre le thème délicat de l’endoctrinement au sein d’une secte, les trois comédiennes qui évoluent sur scène évoquent les conséquences de la perte d’un être cher et de ses racines. Chaleureusement accueillie au Théâtre National, cette pièce de Fabrice Murgia reste fidèle à ses créations (dont le Chagrin des ogres, en 2011) : bande sonore captivante, ambiance scénique proche du songe, et omniprésence de l’écran.


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À gauche, Discours à la nation, et à droite, Les enfants de Jéhovah.

 

Avec La grande et fabuleuse histoire du commerce, Joël Pommerat n’en est pas à son coup d’essai. Celui qui avait ravi le public avec Les Marchands et ses relectures actualisées de contes, comme Cendrillon, met en scène les réflexions de cinq représentants de commerce dans leur chambre d’hôtel. Au cours de cette fable théâtrale sur le mercantilisme (d’abord dans les années 60, puis à notre époque), Pommerat distille un questionnement sur la manipulation et le rapport à l’autre : ce ne sont pas les individus qu’il dénonce, mais le système de valeurs qui les contrôle malgré eux.

Après Play Loud et Dieu est un DJ, Falk Richter revient cette année avec Rausch, fruit d’une heureuse collaboration avec la chorégraphe Anouk van Dijk. Sur scène, comédiens et danseurs semblent aux prises avec un monde qui agonise, et se débattent avec leur corps ou leurs mots pour garder l’espoir. Une oeuvre forte, entre rire et amertume, qui permet d’entamer en beauté l’année de l’Allemagne à l’ULg.

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À gauche, Rausch, et à droite La grande et fabuleuse histoire du commerce.

 

Mais loin de se contenter de ces quelques fidèles, les organisateurs du Festival ont aussi la volonté de promouvoir de nouvelles têtes. Furie de Sanghe, de la compagnie italienne Fibre Parallele, nous plonge dans une ambiance familiale étouffante. Rythmée par un dialecte des Pouilles, l’histoire se centre sur une étrange anguille, qui pénètre dans l’esprit du père de famille et s’y agite telle une pensée malsaine.

Dans Invisibles, c’est une histoire de l’immigration algérienne en France que retrace Nasser Djemaï. Toute en finesse : trois retraités, qui partagent leur temps entre un banc et une partie de cartes, évoquent leur parcours, depuis le bled qui les a vu naître et qui les a depuis oubliés, jusqu’à leur pays d’accueil qui tente de les exclure. Une mise en scène sobre et efficace au service d’un sujet brûlant d’actualité.

Mokhallad Rasem aborde avec énergie la guerre irakienne dans Irakese geesten. L’artiste originaire de Bagdad rend avec justesse, en dix tableaux, le quotidien au coeur d’un conflit armé. Une expérience de vie difficile à appréhender pour un occidental, que Rasem illustre tantôt avec rage, tantôt avec humour.

Avec Alexis. Una tragedia greca, la compagnie Motus revient sur l’assassinat d’un jeune athénien par un agent de police en 2008, en mêlant des extraits de l’Antigone de Brecht et des témoignages réels. Dans un décor dépouillé, danse, graffiti, vidéo et théâtre se relayent pour recréer l’atmosphère du soulèvement dans les rues de la capitale grecque.

D’autres thématiques se nouent et se dénouent au fil des spectacles : l’histoire de la psychiatrie dans Constellation 61 (par Action30, L’Autre lieu, Bruxelles Laïque et le Théâtre national de Bruxelles), le scandale pédophile au sein de l’Eglise dans The Blue Boy (par la compagnie irlandaise Brokentalkers), la fuite de la guerre d’Algérie avec Je vous ai compris (par Valérie Gimenez, Sinda et Samir Guessab, et avec la participation de Jacques Delcuvellerie), le contexte de l’après-dictacture de Pinochet dans Villa+Discurso (de Guillermo Calderón), ou encore la volonté de changer le système en place dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo (par la compagnie chilienne Re-sentida).

Cette année encore, plusieurs spectacles sont estampillés «Nouvelles vagues» : ce projet, initiative commune à plusieurs structures culturelles en Belgique francophone, a pour but de donner une meilleure visibilité à de jeunes créateurs en multipliant les lieux de représentation. Avec le Discours à la nation de Celestini, Heroes (Just for one day) de Vincent Hennebicq et Nés poumon noir, par le collectif Poumon noir et par l’Ancre de Charleroi figurent également sous ce label «Nouvelles vagues».

Outre les lieux habituellement investis par le Festival de Liège — comme le Manège, le Théâtre de la Place ou encore le B9 — un nouvel espace s’ouvre aux spectateurs cette année : le B16. Pensé comme une autre manière de vivre le festival, ce satellite des salles principales accueillera des projections, des rencontres avec les différentes compagnies, mais aussi de courtes créations de jeunes artistes (notamment de l’Ecole d’acteurs de Liège). Cette facette relativement inédite du Festival de Liège s’inscrit dans une volonté de rapprocher la scène du public : un à-côté qui clôture, sur une note d’intimité, le programme de cette édition 2013.

 

Julie Delbouille
Décembre 2012

crayongris2Julie Delbouille est étudiante en 2e master de médiation culturelle

 


 

Quand ? Du 18 janvier au 9 février 2013

 

Réservations et informations :

Rue Saint Michel 16, 4000 Liège

Ouvert du lundi au samedi de 12h à 18h

Téléphone : 04/221.10.00

 

Retrouvez la programmation sur le site internet du Festival de Liège :

www.festivaldeliege.be/



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