Une nouvelle collection belge dans le paysage littéraire français ! Les éditions girondines L’Arbre vengeur ouvrent leur catalogue à nos Lettres à travers la republication de Celui qui pourrissait de Jean-Pierre Bours. Une occasion de découvrir un représentant discret de la veine fantastique…
L’événement est suffisamment peu courant et appréciable pour qu’on le diffuse tambour battant : une collection belge vient de voir le jour chez nos voisins. L’Arbre vengeur, maison d’édition solidement enracinée en terre hexagonale depuis une décennie, exhume de l’oubli des textes in- ou méconnus (à l’instar de ceux de Jacques Spitz, Régis Messac ou Fedor Mikhaïlovitch Rechetnikov) et propulse des contemporains vers les sphères d’une légitimité méritée. Le résultat ? Des volumes de petit format aux illustrations léchées dans lesquels se déploient le style, la vivacité et la vitalité, voire l’insolence, quel que soit leur ancrage linguistique originel.
C’est dans cette dynamique de légèreté, d’exigence et de liberté que le tandem David Vincent (libraire) et Nicolas Étienne (graphiste) ont confié à Frédéric Saenen (auteur et critique) la responsabilité de remuer notre si fertile terreau et d’en dégager d’étonnants surgeons. Pour inaugurer la collection joliment baptisée « L’Arbre à clous », Saenen a donc décidé de remettre à l’honneur Celui qui pourrissait, curieux recueil de nouvelles de Jean-Pierre Bours. Ce Liégeois, en plus de mener une brillante carrière d’avocat et d’avoir enseigné au sein de notre Institution, a également commis, en 1977, un titre paru initialement dans l’incontournable série Marabout et gratifié la même année du Prix Jean Ray.
D’emblée se pose la question des critères de ce choix éditorial. Republier un ouvrage s’inscrivant dans ce que l’on nomme communément la « paralittérature » peut sembler relativement hasardeux car, hormis un public d’amateurs d’avance fictionnellement acquis corps et âme, le lecteur lambda risque, au pire, d’ignorer volontairement le livre et, au mieux, de l’ouvrir avec réticence. En outre, n’est-ce pas encore une fois cantonner nos Lettres à un statut qui est, au regard d’aucuns, périphérique ? On ne sait que trop que la gloire des Simenon, Hergé et Ray éclipse plus qu’à son tour, au delà de nos frontières, les Baillon, Detrez et Rodenbach pour ne citer qu’eux.
« Le fantastique, c’est l’autre face du réel, la part d’ombre qui révèle l’inquiétante étrangeté du monde, c’est la psychanalyse sans le divan, c’est la religion sans l’encens, c’est l’intelligence sans la morale. Les textes fantastiques et de science-fiction vieillissent souvent mieux que tout autre genre, malgré le progrès, car ils vont puiser dans les terreurs anciennes, les craintes antiques. Le monde d’aujourd’hui tel que l’imaginaient ceux d’hier […] fascine particulièrement. » Cette définition, bien que partisane, est énoncée avec une telle ferveur par le duo vengeur1 qu’elle réchauffe sans peine les plus frileux d’entre nous. Et, pour se convaincre définitivement de la pertinence de la sélection, il suffit de pénétrer l’univers de Bours. Dans ce monde où les apparences trompeuses sont reines, l’évidence saute toutefois immédiatement aux yeux : en tant que véritable auteur, Bours transcende toutes ces considérations génériques oiseuses par le style.
Car c’est là que réside la force de son écriture. Au contraire de maints tenants du fantastique, il n’ampoule pas sa prose d’un hermétisme lexical de mauvais aloi : le terme s’avère toujours juste ; parfois savant ou rare, mais précis et d’à-propos. Ainsi lorsqu’il décrit des maladies cutanées, évoque une joute moyenâgeuse, détaille des actes chirurgicaux, relate un procès, rapporte une séance de spiritisme, approche une fille de joie… Et, surtout – déformation professionnelle ? – quand il sonde… Bours est doté d’un talent certain pour interroger l’invisible, l’indicible, l’impalpable : les reflets, les spectres et les ombres ; les bruissements, les non-dits et les rumeurs ; les ondes, les sorts et les mystères.
La cohérence de l’ensemble est pour beaucoup due à la brumeuse atmosphère fin-de-siècle dans laquelle baignent ces histoires troublées, érotiques, putrides, rêvées, macabres. Une faiblesse se ressent à quelques égards dans la structure narrative même, tout comme dans le jeu des références internes et des influences externes qui pèsent çà et là. Cependant, la fluidité des périodes, l’élégance des formules et le caractère des récits occultent presque ce bémol. Dès lors, l’on se surprend à espérer deux choses : d’une part, que Bours n’en reste pas là et qu’il nous happe dans d’autres contrées irréelles ; et d’autre part, que Saenen, en fin limier, continue à débroussailler la forêt qui cache souvent l’arbre à clous…
Interviews croisées
Cinq questions au directeur de collection
Cinq questions à l'auteur
Samia Hammami
Novembre 2012
Samia Hammami enseigne le français langue étrangère à l'ULg. Elle est aussi critique littéraire.
Le mardi 4/12/12, à 20h, une rencontre littéraire avec Jean-Pierre Bours, organisée par l’A.S.B.L. Levée de Paroles et animée par Frédéric Saenen, aura lieu au Centre culturel « Barricade » (21 en Pierreuse, 4000 Liège) |