Ces 29 et 30 novembre ainsi que le 1er décembre prochains aura lieu à la Salle des Professeurs de l’ULg un colloque international consacré à Raymond Queneau. Intitulé « Parentés. Raymond Queneau et esprit de famille », ce colloque sera l’occasion pour les spécialistes de l’auteur mais également pour des chercheurs d’autres horizons de tenter de découvrir les méandres de la « famille » au sens large dans l’œuvre quenienne.
En effet, on constate que les rapports entre les parents, entre frères et sœurs, cousins, cousines, oncles et tantes sont souvent au centre des préoccupations de Raymond Queneau. De plus, à côté des histoires de famille stricto sensu comme celles des Kougard/Nabonide ou des Limon, l’œuvre fourmille d’évocations de fêtes familiales, de jalousies, de crises et de secrets bien gardés. Toutefois, la famille biologique n’est pas le seul lien de parenté qui sera abordé lors du colloque, comme nous l’expliquent Jean-Pierre Bertrand, professeur ordinaire au département de langues et littératures romanes et Kanako Goto, auteure de La Littérature comme réécriture, Poétique des Exercices de style de Raymond Queneau (Éditions universitaires européennes, 2011).
Jean-Pierre Bertrand : Le thème proposé par les spécialistes de Queneau était la notion de parenté. Mais c’est une notion qui s’est finalement élargie à la parenté intellectuelle voire spirituelle. Nous accueillerons donc également des conférenciers qui ont travaillé sur la famille Oulipo, ou sur le rôle de Queneau en tant que chef de réseau, par exemple.
Kanako Goto : Je dois dire que ce colloque m’a offert une opportunité de me pencher, pour la première fois, sur le thème de « famille » du sens premier du terme dans l’œuvre de Queneau puisque, jusqu’à maintenant, je me suis intéressée aux questions de formes littéraires utilisées, développées et inventées par l’écrivain, plutôt qu’aux contenus abordés par celui-ci. En plongeant dans les œuvres qui évoquent la parenté, on constate que c’est un sujet récurrent. Mais très souvent, chez Queneau, la famille est source de mal-être, on pourrait même aller jusqu’à dire que Queneau décrit toujours des relations familiales plutôt « foireuses ».
Il faut dire que Raymond Queneau était fils unique et que ses parents l’ayant eu assez tard étaient plutôt âgés. Alors qu’il voulait à tout prix sortir du cocon familial, il décide de monter à Paris pour y étudier à la Sorbonne mais c’était sans compter sur la volonté de ses parents de le suivre dans la capitale. Difficile de gagner son indépendance dans ces conditions. Après les années de jeunesse très difficiles à Paris, marquées notamment par solitude, il épouse très rapidement une de ses premières conquêtes et les relations qui se dessinent avec sa belle-famille ne sont pas non plus très faciles. Une des raisons de ces tensions permanentes étaient les problèmes d’argent régulièrement rencontrés par le jeune couple. Alors qu’il passait d’un petit boulot à un autre, il se voyait contraint d’aller de temps à autres demander de l’argent à son beau-père… Ce n’est qu’un exemple, mais il illustre bien la vision des relations familiales que Queneau nourrissait.
Jean-Pierre Bertrand : Ce ne sont finalement que des familles très ordinaires, issues de couches populaires et qui vivaient une vie de prolétaires.
Kanako Goto, le titre de votre conférence évoque les « recalés de l’écriture », sur quel type de parenté avez-vous travaillé ?
KG : J’ai choisi de travailler sur la relation que Queneau entretenait, en tant que membre du comité de lecture chez Gallimard, avec les auteurs des manuscrits qui lui étaient envoyés. Il en recevait énormément et dans la plupart des cas, les réponses qu’il faisait parvenir aux auteurs étaient négatives ou encore carrément absentes. Il recevait ainsi en retour des lettres de mécontentement, de demande d’explication, voire de chantage affectif d’auteurs éconduits. Ces derniers, dans lesquels il ne pouvait s’empêcher de se retrouver, finissaient - si j’ose dire - néanmoins par être une source d’inspiration pour ses propres œuvres. Dominique Charnay a d’ailleurs publié l’an dernier une série de ces lettres adressées à Queneau et que celui-ci a soigneusement gardées (Cher Monsieur Queneau, Dans l’antichambre des recalés de l’écriture).
Trois colloques sur Queneau avaient été organisés à Liège dans les années 1980, souhaitiez-vous ici renouer avec la tradition ?
Jean-Pierre Bertrand : Il est vrai que ce colloque s’inscrit dans la série des colloques Queneau qui s’organisent depuis les années 1980 et qui, au départ, étaient organisés à Verviers. C’était en fait feu André Blavier, auteur belge célèbre mais aussi bibliothécaire à la ville de Verviers qui avait attiré à lui le fond de Raymond Queneau. Par la suite, ce cycle de colloques a un peu voyagé pour finalement poser ses valises à Paris à 2009, où l’on a célébré le 50e anniversaire de la parution de Zazie dans le métro (1959). Mais dernièrement, les spécialistes parisiens de Queneau, essentiellement Claude Debon et Daniel Delbreil (Paris 3, Sorbonne Nouvelle), ont eu envie de sortir de la Capitale et quand Daniel Delbreil m’a parlé de ce projet, et bien que je ne sois pas un spécialiste de Queneau, j’ai accepté de l’accueillir ici à Liège.
Nous avons également deux spécialistes de « père de Zazie » à l’ULg ; tout d’abord, le professeur émérite Jean-Marie Klinkenberg, notamment parce qu’il avait publié en son temps la correspondance Queneau-Blavier1, mais aussi Kanako Goto sur qui repose également, il faut le préciser, toute l'organisation de ce colloque.
Raymond Queneau a été beaucoup lu et beaucoup étudié, que peut-on encore en dire de neuf aujourd’hui ?
Kanako Goto : La nouveauté va résider dans l’approche scientifique. Il faut renouveler les points de vue. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons choisi un thème très classique. La nouveauté sera apportée grâce aux angles que les intervenants proposeront afin de redécouvrir l’univers quenien. Nous allons également écouter des chercheurs qui ne sont pas spécialistes de Queneau mais qui vont nous offrir une nouvelle approche.
Jean-Pierre Bertrand : Effectivement, les organisateurs voulaient d’une part sortir des lieux habituels des colloques consacrés à l’auteur français et d’autre part, élargir l’étendue du cercle des spécialistes. Cela permettait d’offrir un autre axe d’analyse des œuvres et de la vie de l’auteur.
Au vu du programme, tout porte à croire que ce colloque liégeois prolongera avec brio la tradition et y apportera un nouveau regard.
Soulignons que le Théâtre Universitaire sera également de la partie puisqu’un montage de différents textes de Queneau, intitulé « Bricoles queniennes », sera présenté le jeudi 29 novembre à 18h.
Informations et programme
Kanako Goto - Kgoto@ulg.ac.be (Université de Liège)
Entrée libre
Salle des Professeurs de l'Université de Liège (1er étage)
place du 20-Août, 7
4000 Liège
Vincianne D’Anna
Novembre 2012
Vincianne d'Anna est journaliste indépendante
1 Lettres croisées, 1949-1976. André Blavier, Raymond Queneau, correspondance présentée et annotée par Jean-Marie Klinkenberg, 1988
Photos collection Jean-Marie Queneau / Diffusion Gallimard