Ainsi font les comptines

Hans ThomaAussi ancestrales qu’universelles, les comptines ont aujourd’hui tendance à être délaissées au profit de modes d’apprentissage jugés plus sérieux. Erreur ? Sans aucun doute pour le pédopsychiatre Jean-Marie Gauthier, qui voit dans la chanson de geste enfantine un outil précieux et une source privilégiée de plaisir partagé entre adultes et enfants.

Chez les tout-petits, il est question de la petite bête qui monte et de l’abeille qui fait « pique ». Plus tard, arriveront « Ainsi font, font, font », « Dans sa maison un grand cerf », « Promenons-nous dans les bois », « Le renard qui passe »... Autant de comptines qui gagnent en complexité – dans le geste, la narration mais aussi le nombre de participants – au fur et à mesure que l’enfant grandit... suivant en quelque sorte un processus d’évolution naturelle. Car s’il existe maints supports pour apprendre les comptines – du livre à la vidéo –, celles-ci constituent d’abord un fonds commun que la plupart d’entre nous maîtrisent encore avec un certain brio ! Et si nous avons tendance à adapter notre phrasé et notre posture en présence d’un enfant, c’est très spontanément que nous reviennent aussi à son contact les comptines de l’âge tendre. De la famille à l’école, les comptines perdurent ainsi par la magie de la transmission orale, malgré le désaveu partiel dont elles font aujourd’hui l’objet, sous la pression des impératifs de « rentabilité » pédagogique qu’imposent et s’imposent parents et enseignants.

Dans sa maison un grand cerf :

 

Une question de rythme


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Fait anthropologique selon Jean-Marie Gauthier, les comptines correspondent en effet à un vécu fondamental de l’enfant. Elles témoignent aussi de la capacité de l’adulte à s’adapter – ou à se réadapter – à ce vécu. « Je suis persuadé que c’est un savoir naturel, qui nous vient du fond des âges. Il semble que dans toutes les cultures, on joue à cache-cache, on raconte des histoires... et on chante des comptines ! On retrouve d’ailleurs à travers le monde des thèmes communs, notamment celui de l’animal dont la bouche fait peur, tel le loup. » D’un bout à l’autre du globe, les comptines s’arrangent ainsi pour aborder la peur, l’excitation, l’absence... sans avoir l’air d’y toucher. Mais qu’est-ce qui les distingue, en cela, du conte de fées ou d’une sympathique chansonnette ? « La comptine associe trois choses : un chant, une danse et un partage en groupe ou au minimum à deux. La comptine a donc à voir avec l’apprentissage de la rythmique, laquelle est fondamentale dans l’échange interpersonnel. » Car comme l’indique son nom, la comptine compte. Soit de manière évidente comme dans Un, deux, trois, nous irons au bois, soit de manière moins explicite, par l’énumération, le rythme et la rime qui se répète. « Même si toutes les comptines ne sont pas dans le décompte, elles apportent une rythmique qui préfigure le rythme qui sera utile pour apprendre à compter », commente Jean-Marie Gauthier. La comptine présente donc un intérêt incontestable au niveau des apprentissages cognitifs. Non seulement parce qu’elle permet de se familiariser avec les nombres mais aussi avec les mots. Ainsi, les études ont montré que les comptines aidaient les enfants à mieux articuler et prononcer, précisément grâce à ce phénomène de rythme. Utilité également démontrée dans l’initiation à une langue étrangère. De même, les comptines favorisent l’assimilation de concepts aussi complexes que le temps ou l’espace. Ritournelle dont on connaît chaque infléchissement rythmique, la comptine permet d’anticiper, de gérer l’attente, d’expérimenter le plaisir de la reconnaissance mais aussi de se plier à l’espace-temps particulier qu’elle instaure pour soi-même et la (ou les) personne(s) avec qui on la partage.

Une souris verte :

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