Tarzan, dans la jungle des trahisons

23-ron-elyLa place laissée vacante par Johnny Weissmuller sera d’abord reprise par Lex Barker (comédien sportif remarqué chez Welles, Lang ou Dmytryk), dans une série de films qui marqueront relativement peu les souvenirs des spectateurs et encore moins l’histoire du cinéma. Suivront Gordon Scott (découvert par le producteur Sol Lesser alors qu’il travaille comme maître-nageur) pour six films dont Tarzan and the Lost Safari (Bruce Humberstone, 1957) qui propose enfin une jungle en couleur), Denny Miller, blond basketteur au physique de mannequin, ressemblant exactement à ce que Burroughs ne voulait pas que Tarzan soit, ou encore Ron Ely, star de la série télévisée Tarzan qui fit les beaux jours des petits écrans (59 épisodes entre 1966 et 1968), qui aura droit à deux longs métrages cinématographiques en 1967 et 1970.

Le Tarzan des années 80 sera incarné par le débutant Miles O’Keeff, simple faire-valoir d’une sculpturale Jane incarnée par Bo Derek pour la caméra de son époux, le réalisateur John Derek. Tarzan, the Ape Man (1981) est une nouvelle imposture pour le héros de Burroughs, la trame de base ne servant que de prétexte à une romance vaguement érotique et parfaitement kitsch filmée au Sri Lanka… Autre Tarzan de pacotille, celui de Tarzan and The Lost City (Carl Shenkel, 1997) incarné par Casper Van Dien condamné à singer ses prédécesseurs (Tarzan, devenu Lord Greystoke, décide, à la suite d’un cauchemar, de retourner en Afrique et de retrouver sa vie de seigneur de la jungle). Burroughs décède l’année de la sortie du film (il ne faut sans doute pas en tirer de conclusion hâtive).

Dans cette jungle de trahisons, un cinéaste anglais va concevoir une énième adaptation de Tarzan en hommage à Edgar Rice Burroughs : Hugh Hudson tourne Greystoke, The Legend of Tarzan, Lord of the Apes en 1984 avec Christophe Lambert dans le rôle titre. Présenté comme une adaptation réaliste et fidèle des aventures de Tarzan, Greystoke est en vérité un film aux antipodes de l’univers bariolé, fantasque, et onirique de Burroughs… L’enfer est pavé de bonnes intentions.

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28-tarzan disneyAu risque de faire s’étrangler quelques admirateurs de Tarzan, il faut peut-être soutenir que le Tarzan des productions Disney, long métrage animé et réalisé par Kevin Lima et Chris Buck en 1999, compte probablement parmi les films les plus proches de l’œuvre de Burroughs. L’intrigue de base, le souffle épique et le vent de fantaisie qui le traversent ravivent le souvenir des qualités des romans de Burroughs. D’autres amateurs se tournent déjà vers les prochaines productions et rêvent du champion olympique Michael Phelps ou du physique courbé de l’acteur Tom Hardy pour incarner le seigneur de la jungle.

Mais peu importe. Sans doute l’écrivain avait-il compris que le Tarzan qu’il avait imaginé ne pourrait jamais lui être rendu parfaitement par le cinéma et ses trop nombreux artifices. Dans Tarzan and The Lion Man, paru en 1934, une équipe de cinéma s’enfonce dans le cœur de la jungle pour tourner les aventures de l’homme-lion. Mais l’acteur interprétant le héros est aussi médiocre que couard, le réalisateur est incompétent, les exigences de la production sont ridicules. Et voilà que Tarzan, jugé par ailleurs peu crédible par l’équipe, est engagé comme doublure du héros… Amusante satire hollywoodienne, le récit tisse avec drôlerie, férocité et intelligence les éléments du réel et de la fiction dans une perspective métatextuelle qui autonomise le personnage de Tarzan. 

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S’il fut souvent déçu ou frustré, Burroughs n’ignorait pas que le cinéma, tout en lui apportant bonne fortune, trahirait Tarzan. Son héros n’échapperait pas aux parodies (le fameux, potache et outrancier dessin animé Tarzoon, la honte de la jungle de Picha en 1974 ou le George of the Jungle de Sam Weisman en 1997 pour n’en citer que deux) comme il n’échapperait pas aux relectures les plus schématiques, les plus caricaturales et les plus plates.

Mais malgré leurs sabots trop lourds et leurs simulacres maladroits, nombre de ces films illuminent les yeux des cinéphiles. Car, après tout, Tarzan n’appartient plus depuis longtemps à son auteur. Tarzan appartient aux enfants, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; aux enfants que nous avons été et que nous sommes encore, envers et contre tout. 

 

 

Dick Tomasovic
Novembre 2012

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Dick Tomasovic enseigne au Département des Arts et Sciences de la communication -  Théories et pratiques du spectacle (vivant ou enregistré).

Voir son Parcours Chercheur sur Reflexions




Sources bibliographiques :
- Christian Dureau, Les Interprètes de Tarzan, le roi de la jungle, Éd. Didier Carpentier, 2012
- Claude Aziza, Moi Tarzan, toi fan, Éd. Klincksieck, 2012
- Francis Lacassin, Tarzan ou le chevalier crispé, 10/18, 1971
- Charles Tesson, « Tarzan au cinéma. Loin de la jungle des villes » in Pascal Dibie (sous la dir.), Tarzan !, Musée du Quay Branly / Somogy, 2009.

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