Le 19 septembre 2012, l’Opéra Royal de Wallonie rouvrait ses portes après trois longues années de travaux de rénovation qui l’avaient contraint à l’exil. Aussi, le public curieux et avide de regagner ses pénates répondait-il présent pour cet événement culturel majeur. Au programme, non pas un grand classique du répertoire italien, mais un opéra belge, en français, Stradella, œuvre de jeunesse du compositeur liégeois César Franck, orchestrée pour l’occasion par l’anversois Luc Van Hove. En création mondiale.
Si l’affluence du public était attendue, tout était également réuni pour un succès de presse. D’abord parce qu’il s’agissait d’une création mondiale, mais également parce que cette production fera l’objet d’un disque grâce à une collaboration avec la Musique en Wallonie (maison de disques au sein de l’ULg) et RTBF Musiq 3. Pour pimenter encore l’affiche, le réalisateur bruxellois Jaco Van Dormael, caméra d’or à Cannes en 1991 et César du meilleur film en 1992 avec Toto le héros, signait là sa première mise en scène d’opéra. À cela s’ajoutait, une fois n’est pas coutume, une distribution aux accents noir-jaune-rouge : l’affiche était décidément très appétissante.
La cloche retentit, les spectateurs sont prêts. L’ouverture résonne, le rideau s’ouvre. Sur scène, une femme nue au milieu de quarante-cinq mille litres d’eau. Le plateau ainsi immergé nous rappelle que l’histoire se passe à Venise, mais la référence à la ville s’arrête là. Point de masque ni de costume pour représenter le carnaval, seulement une Acqua alta plutôt symbolique, dans laquelle les personnages vont s’enfoncer de plus en plus à mesure que périclite l’amour des deux héros : Stradella, interprété par le brillant ténor belge Marc Laho, et Léonore, incarnée par l’élégante Isabelle Kabatu. Tous deux finiront sous l’eau, unis dans la mort.
Une véritable dramaturgie donc, mais aussi une mise en scène propre à démontrer les nouvelles capacités techniques dont est désormais pourvu l’ORW. On regrettera d’ailleurs le statisme des chanteurs, malgré les tableaux magnifiques pour lesquelles il convient également de rendre hommage à Vincent Lemaire pour les décors et à Nicolas Olivier pour les lumières. L’on reprochera encore quelques sorties de scène incohérentes et malheureuses, dues à l’ouverture des coulisses, notamment après la mort de Stradella. Du reste, on s’étonnera des conditions difficiles imposées aux artistes, parfois plongés à quatre pattes dans une eau heureusement chauffée.
À ce jeu, impossible de passer à côté de l’incroyable performance de Marc Laho. Le ténor belge campe son personnage avec classe, la voix est belle, la ligne de chant et la diction sont simplement parfaites. À ses côtés, l’on est heureux de retrouver une autre Belge à la carrière internationale : Isabelle Kabatu. Elle est toutefois davantage en difficulté. Sous la pluie dès les premières notes, couchée dans l’eau dans le troisième acte, la voix semble trop large pour le rôle, mais elle livre une prestation courageuse. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit vivement pendant et après le spectacle. Le couple est par ailleurs crédible et complice. Werner Van Mechelen, quant à lui, ne convainc pas non plus tout à fait dans le rôle de Spadoni. Sans doute la partition est-elle un peu trop grave pour le troisième Belge de cette distribution. Le Parisien Philippe Rouillon, qui vit en Belgique depuis une douzaine d’année, incarne un Duc solide. Tout comme pour Marc Laho, sa diction est impeccable. Et pour cause, outre le répertoire italien, le baryton a fait du répertoire français (francophone en l’occurrence) l’une de ses spécialités. Son fils, Xavier Rouillon, l’accompagne. On le retrouvera à nouveau avec plaisir à l’ORW dans L’officier de fortune de Grétry, le 20 octobre. Trois autres Belges complètent la distribution : Giovanni Iovino, Patrick Mignon, et le baryton Roger Joakim, dont on regrettera la trop brève apparition après avoir offert un Bretigny de très bonne qualité dans Manon en juin dernier.
Dire de l’œuvre qu’elle n’est pas tout à fait aboutie est un euphémisme. On ne devait rien attendre de très innovant de cette pièce écrite en vue de l’obtention du prix de Rome par un César Franck âgé de sans doute dix-neuf ans. Les mélodies, très accessibles, sont d’une grande joliesse, mais la prosodie du livret est maladroite. L’on y trouve également une belle diversité de formes, mais le spectateur n’est sauvé de l’ennui que par la direction musicale inspirée et efficace de l’excellent chef italien Paolo Arrivabeni, grand gagnant de la soirée.
Globalement, de la mise en scène post-moderniste de Jaco Vandormael, qui viendra saluer plus tard en chemise à fleurs, à l’orchestration très fidèle de Luc Van Hove, une belle cohérence émerge. À la fin du spectacle, des poissons géants colorés s’envolent dans la salle, entre onirisme et humour, entre symbolisme et provincialisme, un peu à l’image de ce spectacle.
Enfin, une conclusion s’impose et sonne comme une victoire : ce spectacle, proposé par le directeur général et artistique de l’opéra royal de Wallonie, Stefano Mazzonis di Pralafera, était sans aucun doute le plus belge et le plus liégeois des projets que l’institution ait monté au cours de ces quinze dernières années. Une œuvre liégeoise, une orchestration flamande, une mise en scène bruxelloise, et surtout, six chanteurs belges parmi les huit de la distribution. À l’instar des tableaux de Luis Salazar qui ornent nouvellement les murs du foyer du quatrième étage, la promotion de l’art national et régional semble être la nouvelle ligne de conduite de la maison pour cette saison 2012-2013. Par conviction ? Par nécessité financière ? Qu’importe ! On s’en réjouit !
Samuel Namotte
Octobre 2012
Samuel Namotte est étudiant en 2e master en Langues et littératures romanes.
Photos © ORW - Jacky Croisier