Djos Janssens : une tentative de diversion

Artistes à l’hôpital

Rôdé aux interventions in situ chères à l’art contemporain, le Belge Djos Janssens investit jusqu’au 14 décembre le CHU de Liège avec l’exposition « Near you ». Il inaugure ainsi le cycle « Artistes à l’hôpital » conçu par Julie Bawin.

© Djos Janssens

P1000728bIl est des lieux où l’on ne voit rien d’autre que ce que l’on est venu chercher. Ainsi des hôpitaux où l’on se presse parce qu’il y a urgence, où l’on cherche son chemin parce qu’il y a dédale, où l’on court droit au but – bonne ou mauvaise nouvelle. Peut-être seront-ils ainsi nombreux, parmi les milliers de visiteurs, patients, professionnels qui foulent chaque jour le sol du CHU de Liège, à ne pas voir les mots qui s’affichent en petites lettres colorées sur les portes automatiques de l’entrée principale. « Tout à l’heure tu as crié que tu m’aimais..., tu as même failli me le dire », peut-on lire par exemple : fragments empruntés à la poésie, aphorismes du quotidien, bribes entendues au vol. Peut-être seront-ils nombreux aussi, à ne pas lever les yeux vers ces écrans informatifs qui, entre les recommandations d’usage, diffusent des courts-métrages conçus par le Belge Djos Janssens, auteur de ces imperceptibles changements de décor. Enfin, qui portera attention à cette tonnelle perdue dans l’espace animé de la grande verrière ? Et qui répondra, s’en approchant, à l’invitation des deux chaises en plastique blanc posées sur un carré de faux gazon ? Au milieu des sollicitations de cet espace déjà saturé de signes qu’est l’hôpital, l’exposition « Near you » qui mêle textes, images et installations se perdrait presque dans le décor. Fait assumé, faut-il le dire. « L’artiste n’est pas quelqu’un qui veut absolument imposer quelque chose, commente Julie Bawin, commissaire de l’exposition. Il veut nous solliciter. » « Quand la dame de l’accueil me dit qu’elle s’évade lorsqu’elle regarde la tonnelle, pour moi l’objectif est déjà atteint, poursuit Djos Janssens. Ce serait prétentieux – et même douteux – de vouloir toucher tout le monde. Lorsque j’ai installé l’exposition, la personne qui s’occupe des rendez-vous m’a demandé de placer ma dernière phrase – une phrase d’Apollinaire – sur la porte qui est en face d’elle... pour moi, c’est quelque chose d’inestimable. »

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© Serge Gutwirth

Un lieu (in)hospitalier 

Si faire entrer l’art contemporain à l’hôpital relève d’une entreprise singulière, le CHU de Liège – rappelons-le – n’est pas tout à fait novice en la matière. « Quand Djos Janssens a découvert le CHU, cet endroit tout de même assez labyrinthique, il a su que ce ne serait pas un lieu facile à investir, qu’il y avait là un véritable challenge, commente Julie Bawin. En même temps, il a découvert que c’est un hôpital qui abrite des œuvres que l’on doit à de grands noms de l’art contemporain. Charles Vandenhove (ndrl : architecte à qui l’on doit le CHU de Liège) était très proche des artistes du mouvement de l’art conceptuel comme Toroni, Buren ou Sol LeWitt. » Depuis 1997, le Musée en Plein Air perpétue d’ailleurs cet héritage en organisant régulièrement des expositions dans la verrière sud du bâtiment. Avec le cycle « Artistes à l’hôpital », Julie Bawin, Présidente de la commission culturelle du Musée en Plein air et responsable des expositions, entend faire un pas de plus en privilégiant des propositions artistiques qui explorent l’espace à la fois réel et symbolique de l’hôpital. Ce n’est donc pas un hasard si elle a choisi Djos Janssens comme premier intervenant. « Avec ce cycle, je souhaitais investir un endroit où l’on pourrait avoir besoin de l’art, où l’art pourrait avoir une certaine utilité. Car l’hôpital n’est pas toujours à proprement parler un endroit très... hospitalier. Lorsque j’ai découvert le travail qu’il avait fait pour l’hôpital universitaire de Gand, Djos Janssens s’est d’emblée imposé », commente-t-elle.

Co-lauréat d’un appel à projets en 2001 parmi quelque 125 artistes, Djos Janssens a en effet réalisé quatre œuvres pérennes dans les salles d’attente de radiologie et de chirurgie de cet hôpital, travaillant notamment sur l’échelle du mobilier – bancs très bas, tables basses aussi hautes que des brancards – sans compter ici et là d’étranges roulettes dans les murs... Les patients peuvent choisir de s’installer dans ma proposition ou dans la partie plus classique. C’est une alternative qui permet, pendant un instant, d’oublier sa condition de malade, explique l’artiste. Cette volonté de créer une possibilité de diversion dans l’espace codifié de l’hôpital revient comme un leitmotiv dans le travail de Djos Janssens, « Toutes les images que je propose dans l’exposition "Near you" ont aussi été créées en fonction de cela, explique-t-il. Ce que j’espère, c’est que la personne qui s’assoit devant ces images soit mise face à son propre imaginaire, que celui-ci entre en action. Je ne voulais pas créer quelque chose qui soit complètement défini mais je voulais que cela puisse susciter une réminiscence de souvenirs, des associations. »  « Djos Janssens a par exemple détourné des roll-up informatifs qu’il a utilisés pour dessiner des petits espaces, où les gens sont face à des photographies inversées, illustre encore Julie Bawin. Ils pourront être interpellés, se demander ce que cette image représente... mais aussi, simplement, profiter de l’intimité créée par ces espaces. » L’art contemporain : bien placé pour distraire ? « Art is everywhere », répond Djos Janssens. « En tant qu’artiste, il est difficile pour moi de vous répondre autre chose... Pour moi qui vit à travers cela, oui, l’art est un moyen d’évasion. »


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