Métaphores

Comme bon nombre d’artistes contemporains, Djos Janssens confère à son travail valeur de métaphore, au risque de la simplicité : « Cette tonnelle, explique-t-il par exemple, c’est aussi une volonté de faire le lien entre l’été et le début de l’automne. On est transporté dans une notion de voyage... Et puis il y a ces phrases écrites sur le panneau du fond : « L’Australie c’est loin ? » et, comme une réponse, « Loin de quoi ? ». C’est un peu une métaphore de la maladie : la maladie, c’est un peu l’étranger, la personne qui habite près de chez vous, que vous ne connaissez pas et qui, tout à coup, s’introduit dans votre maison... Mais tout dépend d’où l’on se place. » Dans la salle d’exposition du Musée en Plein Air, au niveau -3, les installations de Djos Janssens prolongent ce travail d’équivalences entre des images, des objets et un questionnement qui ambitionne l’universalité. Ainsi du petit trampoline baptisé « Hope », dont le pourtour affiche le nom en anglais des sept péchés capitaux : « pride », « sloth », « gluttony », « lust », « envy », « wrath », « greed ». « Je désirais, avoir quelque chose de physique dans la salle d’exposition : j’aimais cette idée de "sauter" sur l’espoir. C’est à la fois ludique et tragique. Je l’ai aussi disposé en face d’une phrase sur le mur qui veut dire "vivre ensemble" en arabe. L’artiste n’est pas quelqu’un hors de la vie, il en fait partie... et aujourd’hui, face à ce qui se passe dans le monde, face à ces conflits entre l’Orient et l’Occident, il serait peut-être temps d’apprendre à vivre ensemble. » Métaphore encore, lorsque Djos Janssens présente une image de désert – « parce que, face à la maladie et dans la vie en général, fondamentalement, on est seul » – ou lorsqu’il habille un balcon du jaune au bleu – « parce que dans la vie, on en voit de toutes les couleurs. » « Mon travail, dit-il, oscille toujours entre quelque chose de positif par le biais de la couleur et quelque chose de moins positif, avec des textes qui ne sont pas toujours joyeux. Comme quand j’écris : "Tu t’en vas déjà... tu viens à peine d’arriver". »

Critique et réconfort
Si Djos Janssens a eu carte blanche pour cette première intervention, il dit aussi savoir où il met les pieds. Qu’on se rassure donc : l’art contemporain n’est pas là pour envahir l’hôpital de façon sordide ou ouvertement provocatrice. « Il ne faut pas choquer, bien sûr, explique Julie Bawin. Mais concernant Djos, je n’ai même pas dû lui en parler. Il y a une bonne dose d’humour dans son travail mais pas de provocation gratuite.» « Je ne me restreins nullement mais je sais dans quelle cour je joue, donc il me paraît essentiel de le prendre en compte et de ne pas être dans la provocation ou la violence, poursuit Djos Janssens. Cela n’a aucun intérêt : l’intérêt, pour moi, c’est de parvenir à ce que le patient ou le visiteur, pendant quelques secondes, pense à autre chose qu’à la maladie. » Les seules limitations auxquelles Djos Janssens aura finalement dû se plier sont d’ordre pratique : « Djos est un artiste qui a l’habitude de travailler in situ, d’occuper les lieux, avec les règles que cela suppose et nous avons d’ailleurs rencontré d’emblée l’équipe technique du CHU. » Avec le temps, Julie Bawin espère pouvoir donner plus de libertés encore en terme d’occupation de l’espace aux artistes qu’elle accueillera. Quelques noms se profilent déjà. « La prochaine artiste, indique-t-elle, sera probablement Jeanne Susplugas, une artiste avec qui j’ai travaillé il y a quelques années. Je l’avais invitée à exposer aux Brasseurs où j’organisais une exposition autour de l’accumulation, de la collection et elle y avait réalisé une œuvre qui s’appelait "La maison malade", une maison remplie de boîtes de médicaments vides qu’on pouvait piétiner. Je trouvais qu’elle avait un regard très intéressant sur la société et sur ces médicaments qui nous envahissent, donc j’ai pensé à elle. Elle aura sans doute tout à fait un autre regard que Djos. » Si le cycle a été conçu pour apporter le réconfort – même fugitif – de l’art dans un endroit où l’enjeu n’est autre que la vie même, les œuvres ne sont donc pas attendues ici comme thérapeutiques mais comme des fenêtres, critiques ou ludiques, sur le monde de l’hôpital. Reste à espérer que ces fenêtres ne donneront pas sur un décor de carton-pâte, nous laissant aussi floués par l’art que par le réel. Une exigence déontologique qui pourrait constituer, en somme, une intersection tout à fait valide avec le monde de l’hôpital.
Julie Luong
Octobre 2012
Julie Luong est journaliste indépendante