L'histoire méconnue de l'industrie belge du zinc

Le développement de l'industrie belge du zinc constitue un chapitre original et relativement méconnu de l’histoire industrielle de nos régions. Âgée d'à peine plus de deux cents ans, cette industrie peut être considérée comme un enfant de la Révolution industrielle belge. Avant la seconde moitié du 18e s., la production du zinc métallique se heurte à un obstacle technique : l'extrême volatilité de ce métal au contact de l’air au cours de la fusion. Le four liégeois, mis au point à l'aube du 19e s. par le chimiste J.-J. Dony (1759-1819), contourne cet obstacle et donne à l'industrie belge du zinc son impulsion. Celui-ci s'appuiera naturellement sur les abondantes richesses du sous-sol wallon. Outre le charbon, nécessaire à la combustion, et l'argile de la région d'Andenne, très précieuse pour la fabrication des éléments réfractaires, l'abondance des minerais de zinc fut naturellement déterminante.

Les indispensables richesses minérales

Le minerai de zinc est présent dans le sous-sol wallon sous deux formes principales : la blende (sulfure de zinc) et la calamine (carbonate de zinc). Si l'exploitation de la première débute dans les années 1840, l'extraction de la calamine est très ancienne dans nos régions. Certains spécialistes la font remonter aux Romains. Elle ne produit qu’un zinc impur qui constitue une matière première, alliée au cuivre, pour la fabrication du laiton. À partir du 10e s., l’art du laiton se développe dans la région mosane, à Huy et à Dinant principalement. L’exploitation de ces ressources se concentre dans le Duché de Limbourg où se trouve l'important gisement de l’Altenberg ("Vieille-Montagne" à Moresnet), mais également dans la vallée de la Meuse. Localisée sur les affleurements de minerais, elle se poursuit jusqu'au 18e s. En 1805, Dony, bénéficiant des nouvelles législations minières françaises, obtient la concession de la Vieille-Montagne (décret impérial du 21 mars 1805). L'exploitation industrielle de ce riche gisement peut commencer. Elle préfigure la redécouverte et l'exploitation, après 1830, d'une série d'autres gisements répartis principalement dans le triangle Eupen-Verviers-Aachen et sur la rive gauche de la Meuse, entre Namur et Liège.

L'impulsion décisive de la technologie

Condenseur en terre cuite, creuset en terre crue, conservé dans son chariot,
et présenté dans la salle des métaux non ferreux à côté d'une cuillère de chargement © MMIL

perspective condenseur-cuiller-creusetLe four liégeois est l'un des quatre procédés de distillation réductive du zinc par métallurgie thermique mis au point en Europe au tournant des 18e et 19e s. Les méthodes anglaises et carinthiennes (Autriche) sont rapidement abandonnées à cause de leur faible rentabilité. Après 1800, deux autres procédés plus performants s'imposent et ouvrent la voie à une production industrielle. Premièrement, Ruberg et Freytag en Silésie (Pologne) proposent un modèle de four dans lequel de très vastes creusets appelés moufles disposés horizontalement sont le lieu de la réduction. Deuxièmement, au terme de nombreuses années d’expériences – stimulées par un groupe de savants liégeois menés par F. Villette et H. Delloye –, Dony met au point son four. Cette invention repose sur un alliage de savoir-faire propre à la métallurgie liégeoise et de connaissances scientifiques. Son originalité principale réside dans le placement au bout des creusets tubulaires presque horizontaux de condenseurs où s’opère la distillation réductive à l'abri de l'air. Cette méthode liégeoise est particulièrement adaptée aux propriétés de la houille maigre liégeoise. Elle sera appliquée, en Belgique et dans le monde, pendant près de cent cinquante ans.

Le nouveau four fait l'objet d'un brevet pris par Dony à Paris en 1810. Cette protection juridique lui confère pour 15 ans le monopole de la production du zinc métal, mais aussi celui de l’extraction de la calamine. Depuis Moresnet, celle-ci est acheminée par routes et voies d’eau vers la fonderie que Dony installe, en 1809, au coeur du Faubourg Saint-Léonard à Liège. Mais ce nouveau métal produit dans les fours liégeois doit trouver un marché de débouchés susceptible de financer les investissements. Les premiers efforts se portent sur les couvertures de toits en zinc laminé. En 1811, Dony recouvre de zinc la collégiale Saint-Barthélemy. Toutefois, accablé par ses emprunts et les redevances qu’il doit verser à l’État français, il se dirige vers la faillite et l’échec commercial. Des investisseurs ne tardent pas à se manifester. Le négociant parisien d’origine bruxelloise François-Dominique Mosselman (1754-1840) rachète en deux temps la société de Dony. Au même moment, dans le contexte du Congrès de Vienne – chargé de redessiner la carte de l’Europe au terme des guerres de l’Empire – le gisement de la Vieille-Montagne est l’objet de rivalités nationales que le traité des Limites signé entre les royaumes de Prusse et des Pays-Bas en 1816 apaise en divisant l'ancienne mairie de Moresnet en trois parties dont l'une est déclarée neutre. Dony meurt en 1819, au moment même où Mosselman entrevoit la rentabilisation de son procédé industriel. Il est alors à la tête d’une entreprise qui emploie près de 300 ouvriers, produit deux tonnes de zinc par an et engrange de premiers bénéfices. Celle-ci donnera naissance à un géant industriel, la s.a. des Mines et Fonderies de zinc de la Vieille-Montagne.

Maugendre, Saint-Léo - 1855bLa fonderie de Saint-Léonard à Liège © Collections du CHST - album Maugendre, 1855

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