La cuisine babylonienne

Le tout premier recueil de recettes connu est originaire de Mésopotamie. Il date de plus ou moins 1700 avant J.C. et se présente sous forme de trois tablettes cunéiformes. Les recettes qu’il nous livre témoignent parfaitement des habitudes alimentaires d’une société qui a domestiqué la nature pour se nourrir. En effet, cela fait plus ou moins 8000 ans que l’homme est entré dans le néolithique. La culture et l’élevage sont désormais les piliers de son alimentation, ce qui se traduit dans nos recettes par une exploitation importante des céréales et des produits laitiers, à savoir le beurre clarifié, le babeurre et le fromage.

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La première des 3 tablettes de recettes de cuisine conservées à la Yale Babylonian Collection. Nous avons ici représentées les premières recettes écrites connues de l’humanité, deux mille ans après la création de l’écriture. Elles seraient originaires du Sud de Babylone. Elles ont été traduites par le célèbre assyriologue Jean Bottéro, qui a publié les résultats de ses recherches en 1995, dans Textes culinaires mésopotamiens, suivi d’une étude plus générale sur les habitudes culinaires mésopotamiennes, dans La plus vieille cuisine du monde.

Si nous considérons les produits à base de céréales, on est frappé par leur grande diversité. On peut même dire qu’on a déjà tout inventé, ou presque !

D’une part, on a la bouillie de céréales, c’est-à-dire de la semoule cuite dans un milieu liquide. C’est une des manières les plus primitives de les consommer. On connaît encore aujourd’hui la bouillie sous la forme de polenta – qui est à base de maïs –, ou de porridge.

D’autre part, nous avons les pâtes pétries, dont on fait des galettes, véritable base de l’alimentation. Elles sont cuites sur les parois d’un four vertical, comme cela se fait encore au Proche-Orient.

Et avec cette pâte de galette, on fabrique également :

  1. des fines abaisses pour réaliser des tourtes et des pâtés en croûte ;
  2. des pâtes alimentaires, c’est-à-dire des petites quantités de pâte morcelées ou émiettées cuites dans un liquide ;
  3. du pain, qui n’est rien d’autre qu’une galette levée au levain ;
  4. Et enfin, à partir du pain, on réalise de la bière qui est surnommée « pain buvable ». Mais attention, la bière babylonienne est très différente de la nôtre, avec laquelle elle n’a aucune parenté ! En effet, le sikaru s’obtient en faisant tremper un pain malté qui sera filtré afin de recueillir le liquide fermenté. Cela donne une boisson peu alcoolisée et acide, à cause de la fermentation lactique. Le bousa égyptien et le kwas russe se fabriquent encore de la même manière aujourd’hui.

Ainsi, le triptyque de l’alimentation de base à Babylone est galette-beurre-bière.

En dehors des céréales et des produits laitiers, la cuisine babylonienne se caractérise par l’omniprésence de l’oignon, de l’ail et du poireau, ce qui ne nous dépayse pas vraiment. Par contre, elle use d’un aromate qui nous transporte beaucoup plus loin de chez nous, en Extrême-Orient : il s’agit de la sauce de poisson lacto-fermentée, le siqqu, connue au Vietnam actuel sous le nom de nuoc-mam.

oignonChez les Babyloniens, l’oignon, l’ai et le poireau font déjà les délices de la gastronomie.
Ces représentations sont tirées de Pierandrea Mattioli, Du Pinet de Noroy,
Commentaires de M. P. André Matthiolus sur les six livres de Pedacus Dioscoride Anazarbeen de la matière médicale
, 1572.

Cette puissante sauce a eu un destin non négligeable en Europe. En effet, associée au miel, au cumin, à la coriandre, à la menthe, à l’aneth et à la rue, elle nous emmène tout droit vers le deuxième livre de cuisine connu de l’humanité, qui est également le tout premier livre de cuisine connu en Europe, le De re coquinaria d’Apicius. Entre ces deux recueils de recette, deux mille ans se sont écoulés ! Mais ces deux mille ans ne sont pas pour autant un vide gastronomique. C’est ce que nous verrons la prochaine fois en évoquant la cuisine grecque.

Pierre Leclercq
Septembre 2012

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie, collaborateur de l'ULg. Ses recherches doctorales portent sur la gastronomie au temps de Lancelot de Casteau. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.   



Bibliographie
Liliane Plouvier, L’Europe à table, Histoire et Recettes, t. 1, Des origines au Moyen Âge central, Bruxelles, Éditions Labor, 2003.
Jean Bottéro, Textes culinaires mésopotamiens, Eisenbrauns, Winona Lake, Indiana, 1995.
Jean Bottéro, La plus vieille cuisine du monde, Paris, Louis Audibert Éditeur, 2002.