Sorti fin du mois d’août, The Expendables 2 est le seul film à être parvenu à détrôner The Dark Knight Rises du leadership du box-office en Belgique mais aussi dans l’ensemble de l’Europe. Comment expliquer un tel succès pour un film d’action basique ? Peut-être faut-il jeter un œil dans le rétro, direction les années 80-90.
À cette époque, le cinéma hollywoodien vient de remplacer ses auteurs intellectuels (Coppola, De Palma, Scorsese) par quelques cinéastes « bankables » : Spielberg a inventé le concept de blockbuster avec son Jaws, George Lucas a révolutionné l’entertainment avec son Star Wars, et des cinéastes efficaces dans leur genre vont fleurir durant la décennie 80 : c’est l’émergence de James Cameron, Richard Donner, John Carpenter, David Cronenberg, Clint Eastwood. Leur principe cinématographique est simple : il ne s’agit pas tant d’exprimer une vision du monde que de proposer un spectacle aux spectateurs, spectacle qui pourra éventuellement (selon le cinéaste) inclure la vision du monde du réalisateur. En parallèle se développe aussi ce qu’on appelle le « cinéma reaganien », dont la recette est elle aussi très simple : le héros, homme blanc viril, doit vaincre des menaces extérieures pour protéger son pays/sa famille/la société. C’est l’apologie de l’Amérique conquérante et puissante, symbolisée par une série d’acteurs aux corps fétichisés : Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Jean-Claude Van Damme, Chuck Norris et autres. Surtout, ces corps athlétiques, taillés pour l’action, se retrouvent pris dans une multitude de genres : comédie, fantastique, thriller, etc. Pour résumer : un bon film hollywoodien est un film où tout explose et où l’héros américain est aussi drôle que mortel.
Si cette recette est toujours d’application, force est de constater qu’elle a fortement évolué ces dernières années, ramenant les apollons des années Reagan aux statuts de vedettes ringardes et démodées. Bruce Willis s’est perdu dans des comédies moyennes, Arnold Schwarzenegger a opté pour la politique, et Jean-Claude Van Damme et Chuck Norris deviennent plus la risée du web que les icônes d’une nouvelle génération. Seul Sylvester Stallone tente, à la manière d’un Clint Eastwood, de réfléchir sur sa condition de « vieux » via un Rocky Balboa attendrissant mais un poil too much.
They’re back
C’est à ce moment-là que sort le premier Expendables, brouillon semi-décevant de ce que sera le deuxième film. Il faut dire qu’Expendables tente vainement de se comparer aux films d’actions contemporains : pas de scénarios mais une action sanglante, un montage épileptique, un air trop sérieux et une romance inutile. Le résultat économique n’a rien de déshonorant, mais le film n’est pas à proprement parler un grand succès. La leçon est retenue : Expendables 2 sera radicalement différent.
Alors que le premier film essayait vainement de justifier son lot d’explosions, Expendables 2 lui ne s’encombre pas de prétexte inutile : le film n’est pas commencé depuis 5 minutes que déjà un camp militaire en Asie (l’ennemi récurrent des années 80, au lendemain de la défaite du Vietnam) est en proie à la destruction, mode Apocalypse : ça mitraille, ça tire du bazooka, ça défonce les murs en camion blindé, bref que de l’artillerie lourde qui, curieusement, fait plus de bruit qu’autre chose : à l’instar des action-movies censurés de l’époque, la mort est plus bruyante que visuelle, les flots de sang étant au final réduits au minimum. On retrouve ces ballets de la mort chorégraphiés dans les années 80 par des cinéastes tels que Richard Donner, Paul Verhoeven (Robocop) ou James Cameron (Terminator).
Le corps américain surpuissant - Van DammeLe corps est l’élément clé des années 80 : fort, viril, musclé, il incarne à lui seul l’Amérique compétitive, version libérale du corps aryen car le principe est fondamentalement le même. Stallone, Schwarzenegger ou Van Damme ne manquent jamais une occasion d’exposer leurs muscles tendus, résultats de sacrifice de soi au service de la performance. Désacralisé dans Expendables par un Mickey Rourke obèse, le corps athlétique retrouve ici toute sa splendeur, notamment au détour d’une séquence où, à force de bras, les mercenaires empêchent une porte mécanique de se refermer. Lutte de l’homme contre la modernité : un thème récurrent lui aussi dans les années 80-90 (de Terminator à Robocop en passant par les nanars Judge Dredd, Universal Soldier et autres Demolotion Man). Le corps masculin redevient dans Expendables 2 une arme à part entière quand la jeune (Statham) et la vieille (Stallone) génération déposent les armes pour tuer l’adversaire dans un combat à mains nues – ou presque. Dans Expendables 2, tout est question de corps, ce corps invincible (il n’est jamais très abîmé), intemporel (Stallone et Van Damme affichent toujours les mêmes muscles qu’il y a 30 ans) et surtout américain (Jet Li, corps dynamique en opposition aux autres, est rapidement écarté de l’histoire). Par ailleurs, le corps masculin ne peut exister qu’en présence d’autres corps masculins ; telle est la raison de l’inutilité du personnage féminin d’Expendables 2, et cet accent mis à grosse dose sur la rivalité amicale entre Stallone et Statham, qui n’est pas sans rappeler ces relations potaches et explosives entre partenaires dans Die Hard (John McTiernan) et surtout la saga L’Arme Fatale (Richard Donner).