Depuis plusieurs années, être connecté à internet est devenu la règle, que ce soit dans le milieu familial, professionnel ou encore en matière d’éducation. En effet, nous aurions du mal à nous passer de ce nouveau média, quasi indispensable au quotidien. Suite au développement des technologies de l’information et de la communication, des scientifiques se sont penchés sur la question des dépendances aux nouvelles technologies et plus spécifiquement à Internet.
© viperagp - Fotolia.comCes dernières années, les politiques ont été interpellés à ce sujet que ce soit par le monde scolaire, professionnel ou encore par les acteurs psychosociaux de terrain. C’est pourquoi de nouvelles initiatives ont vu le jour pour tenter de répondre au mieux à ces diverses demandes. Ainsi en 2009, le projet « CYBERACCROS ? Développement d’une unité spécialisée d’accompagnement et de traitement en matière de cyberdépendance » subsidié par le Ministère de la Santé, de l’Action Sociale et de l’Égalité des Chances a vu le jour au sein de l’Hôpital de Jour universitaire La Clé à Liège. L’expérience clinique ainsi acquise depuis lors, et plus spécifiquement dans nos consultations en matière de cyberdépendance, nous permet de partager nos observations avec d’autres et de renforcer le circuit de soins existant.
Cet article a pour but de présenter quelques chiffres qui illustrent l’augmentation de l’utilisation d’Internet. Ensuite, nous essayerons de dégager une définition de ce qu’est un usage problématique ou abusif en nous référant à notre pratique. Nous discuterons de la pertinence de l’utilisation du terme « cyberdépendance » et par là même de la référence qui est faite à la « métaphore addictive ». Ensuite, nous donnerons une définition de la cyberdépendance et des symptômes qui y sont associés. Nous décrirons ce que notre centre propose comme type d’aide c’est-à-dire la possibilité d’une prise en charge en ambulatoire ou encore une hospitalisation de jour. Enfin, nous clôturerons par quelques pistes de recommandations à l’attention des parents ou des proches.
1 jeune sur 8 joue au moins 4 heures par jour
Depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui, le nombre de foyers en Belgique disposant d’une connexion à internet n’a fait qu'augmenter. En 2010, la commission européenne rapportait que 73% des ménages possédaient une connexion internet contre 53% en 2006. Dernièrement, le SPF Économie (Direction générale Statistique et Information) publiait, sur base d’un sondage réalisé sur 6000 belges, qu’environ 77% des foyers disposaient d’une connexion internet et que 45% des belges sondés avaient utilisé une connexion mobile au cours des trois derniers mois. Tous ces chiffres montrent à quel point l’utilisation d’internet s’est généralisée rapidement et s’étend à la grande majorité de la population. La place qu’internet a prise dans nos vies que ce soit au niveau professionnel, personnel ou encore éducatif est énorme.
Et qu’en est-il des jeunes ? Une étude du CRIOC réalisée en 2010 rapporte que 92% des jeunes entre 10 et 17 ans surfent sur internet. C’est surtout le passage entre le primaire et le secondaire qui met en évidence une augmentation de l’utilisation (à 12 ans ils sont 87% à surfer et à 13 ans, ils sont 97%). Parallèlement à cette utilisation du net, il nous paraît important de mentionner les chiffres de l’étude réalisée par D. Favresse et De Smet, P. (2008)1 qui concernent l’usage des jeux sur ordinateur ou console de jeux. En Communauté française, en 2006, les jeunes entre 12 et 20 ans sont 12,5% à jouer de façon intensive, soit quatre heures ou plus par jour (les jours d’école) alors qu’ils n’étaient que 7,3% en 2002. Les garçons sont deux fois plus représentés que les filles. Toujours pour 2006, les auteurs rapportent qu’un quart des jeunes interrogés (25,1%) se consacre à cette activité durant 2 à 3 heures par jour. Ces résultats amènent à penser que certains jeunes passent quotidiennement de plus en plus de temps à jouer sur un pc ou sur une console de jeux.
Excès d'un moment ou d'une existence ?
Toute la population est concernée par l’utilisation d’internet mais la majorité des utilisateurs ne rencontrera pas de difficultés particulières. L’usage qu’ils en font reste récréatif ou éducatif et n’envahit pas toutes les sphères du quotidien. Pour une minorité d’entre eux, le rapport à ce nouvel outil peut se complexifier jusqu’à se renforcer en un lien excessif de dépendance. Pour décrire cette utilisation problématique d’internet, nous retrouvons une multitude de termes dans la littérature comme par exemple : « internet addiction disorder, internet addiction, compulsive internet use, cyberdépendance, usages problématiques d’internet, pathological internet use... ». À l’heure actuelle, il n’existe pas encore de consensus scientifique sur le nom qui servirait à désigner ce trouble. C’est pourquoi le terme de cyberdépendance est critiqué par certains professionnels du secteur qui depuis plusieurs années étudient ce phénomène et essaient d’en rendre compte de la façon la plus adéquate possible. En effet, pour ceux qui rejettent ce terme, l’utilisation de la métaphore addictive tend à stigmatiser encore plus les adolescents et à élargir le fossé déjà existant entre ces nouvelles générations et le monde des adultes.
© Shestakoff - Fotolia.comNotre position est plus modérée à ce sujet et cette phrase issue du monde de la psychiatrie résume relativement bien notre pensée : « Il est loin d’être évident de pouvoir faire la différence entre la folie d’un instant et la folie d’une existence ». En effet, ces adolescents devenus accros de leurs jeux en ligne, des réseaux sociaux ou encore d’un first person shooter2, le seront-ils un certain temps ou le resteront-ils longtemps ? Est-ce un moment passager caractéristique de l’adolescence ou cela risque-t-il de s’inscrire dans le quotidien du jeune adulte ?
Même si cette question est importante, nous y sommes moins confrontés dans le cadre de notre travail en structure hospitalière. En effet, nous intervenons davantage au niveau curatif qu’au niveau préventif. Dès lors, notre action se centre sur des personnes, des familles en grande souffrance par rapport à ce phénomène. Reconnaître la dépendance à l’internet ou aux jeux, accueillir la souffrance qui y est associée, nous paraissent être le point de départ de la relation thérapeutique. La personne a besoin d’être reconnue dans son mal-être et c’est seulement à cette condition qu’elle pourra se mettre en route vers un mieux-être. Nous ne faisons pas un usage abusif de ce terme en étiquetant nos patients de cyberdépendants. Notre but n’est pas de construire une nouvelle catégorie diagnostique mais bien de reconnaître la place démesurée faite à l’usage d’internet dans le quotidien de ces patients.
Impossible d'arrêter
En effet, nous constatons que la relation que ces personnes entretiennent avec internet comprend d’importantes similitudes avec d’autres types de dépendance comme les dépendances aux produits. Nous parlons de dépendance lorsque la personne a perdu la liberté de s’abstenir. Pour un utilisateur accro du PC ou de la console de jeu, il est très éprouvant de suspendre la connexion ou de s’arrêter de jouer. Ils ont du mal à se concentrer que ce soit sur le lieu du travail ou à l’école car leurs pensées sont dirigées vers l’objet virtuel : par le fait de se remémorer une partie récente particulièrement excitante au poker ou le fait de planifier le prochain raid sur un jeu en ligne… Dès lors, pour les patients que nous rencontrons et plus spécifiquement pour les adultes, force est de constater que la métaphore addictive est la plus appropriée à l’heure actuelle pour rendre compte du phénomène observé.
C’est pourquoi, nous privilégions le terme cyberdépendance que nous définissons comme un trouble psychologique nouveau qui se caractérise par une véritable addiction aux relations virtuelles soit en ligne (cyberdépendance de type I : problèmes liés à l’usage d’internet), soit hors ligne (cyberdépendance de type II : problèmes liés à l’usage d’appareils électroniques excluant internet). Nous retrouvons différents types de dépendance à internet en fonction du contenu recherché : cyberpornographie, cybersexualité, dépendance à caractère relationnel dont « facebook » est le plus souvent cité, dépendance à caractère monétaire (casino, poker en ligne), dépendance aux jeux en ligne (dont les MMORPG3)… À l’Hôpital de Jour La Clé, nous rencontrons majoritairement des adolescents ou des adultes présentant une dépendance aux jeux vidéo en ligne et plus fréquemment aux MMORPG et des adultes dépendants aux jeux d’argent en ligne.
1 Favrese, D. & De Smet, P. (2008). Tabac, alcool, drogues et multimédias chez les jeunes en Communauté française de Belgique. Résultats de l’enquête HBSC 2006. Service d’Information Promotion Education Santé (SIPES), ESP-ULB, Bruxelles.
2 Les First Person Shooter ou FPS sont des jeux de tir qui donnent à l’utilisateur le sentiment d’être présent dans le jeu. Ce type de jeu peut aussi être on-line.
3 Les MMORPG sont les Massive Multiplayer Online Role-Playing Game, en français les jeux de rôles massivement multijoueurs dont World of Warcraft (ce nom ainsi que les personnages du jeu sont la propriété de Blizzard Entertainment) est certainement le plus connu de tous.