Cyberdépendance ? Réalité clinique ou invention psychopathologique ?

Quand la dépendance s'installe

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Comme nous l’avons dit précédemment, cette problématique peut engendrer chez certains utilisateurs une réelle souffrance qui se caractérise par la perte de liberté d’arrêter d’utiliser Internet et/ou de jouer (perte de maîtrise), des états de manque lorsque la personne n’est plus connectée sur le Net et/ou ne joue pas (perte de liberté de s’abstenir) et une altération du fonctionnement au quotidien.

Certains symptômes peuvent être observés chez une personne dépendante à internet :

  • un sentiment d’euphorie et de toute puissance lorsque la personne est devant l’ordinateur (devant son jeu, son site fétiche…) ;
  • une incapacité à arrêter ou simplement à limiter le laps de temps qu’elle passe sur internet ;
  • une augmentation du temps passé sur Internet. La personne va passer plus de temps que ce qu’elle avait prévu sur Internet. Elle va mentir à sa famille et à ses proches sur le temps passé sur Internet car ceux-ci commencent à lui faire de plus en plus de reproches ;
  • des pensées intrusives et incessantes. Lorsque la personne n’est pas en ligne, elle pense sans cesse au moment où elle le sera, à qui elle va rencontrer sur Internet, à ce qu’elle va lui dire, aux stratégies à mettre en place pour un tel jeu ;
  • un phénomène de tolérance. La sensation de soulagement et de satisfaction qui envahit la personne lorsqu’elle est en ligne est ressentie de moins en moins rapidement ;
  • un désinvestissement de la famille, des amis et des loisirs. La personne va délaisser ses études, son emploi, sa famille et ses amis pour pouvoir consacrer de plus en plus de temps à Internet.

 

Ce que ça cache

Mais il ne faut pas se leurrer, la cyberdépendance est souvent la partie émergée de l’iceberg. En effet, nous retrouvons régulièrement des problématiques sous-jacentes importantes comme d’autres types de dépendance avec produits par exemple le cannabis ou encore l’alcool mais aussi des relations familiales excessivement conflictuelles voire de la violence intrafamiliale, une désocialisation importante, des problèmes psychiatriques et plus souvent dépressifs. Contrairement à certaines fausses idées véhiculées par le grand public, il n’y pas de confusion entre le jeu et la réalité et ceci même pour des joueurs très accros. Ce que nous observons, c’est plutôt un investissement démesuré dans le monde virtuel au détriment de la vie réelle qui s’appauvrit de plus en plus.

Au départ, comme pour tout un chacun, le recours à Internet offre de multiples avantages. Par exemple, le jeu peut procurer des bénéfices narcissiques importants aux jeunes et aux adultes. Il devient un espace où les joueurs s’affrontent par l’intermédiaire de leurs avatars respectifs, ils entrent en compétition et peuvent, par leur expertise, être valorisés aux yeux des autres, appréciés et recherchés. Ils deviennent ainsi de plus en plus indispensables à leur équipe et sont constamment sollicités. Pour d’autres, lnternet permet de maintenir un niveau minimal de contacts sociaux tout en postposant inlassablement la rencontre dans la « vraie vie ». Ainsi, ils évitent l’anxiété et l’angoisse liées aux contacts avec l’extérieur. Plus le temps passe, plus il sera difficile de dépasser cet enfermement sur soi-même. Pour d’autres encore, le temps passé sur le net permet de s’évader d’une réalité devenue trop difficile : des échecs scolaires à répétitions, des conflits perpétuels entre les parents, une attitude disqualifiante ou désinvestie d’un parent, des problèmes financiers à répétitions, un rythme de vie stressant, des charges familiales trop importantes…

 

En sortir

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Fotolia 39800652 XS© Tatyana Gladskih - Fotolia.comLa plupart des personnes qui viennent vers nous ont, au départ, peu conscience de leur dépendance. Ils viennent à la demande d’un parent, d’un conjoint ou quand ceux-ci les contraignent à se faire aider ou suite à un événement social déclencheur (suspension du chômage, isolement social de plus en plus prégnant…). C’est pourquoi, nous sommes particulièrement vigilants à créer une alliance avec l’envoyeur et encore plus fréquemment avec les parents, à favoriser leur implication dans le processus thérapeutique, à les aider à reprendre leur place de parents auprès de leur enfant. Nous pensons également que la relation thérapeutique est déjà un outil en soi pour mettre de la distance avec l’écran. Mettre des mots sur ce qui se vit devant l’écran permet de prendre conscience de ce qui s’y fait, de réfléchir à qui on est et de ne pas faire « un » avec l’écran. Les entretiens thérapeutiques ont également la caractéristique de s’exercer dans un cadre bienveillant qui sécurise le patient et qui le prépare à réinvestir dans une vie relationnelle. En d’autres mots, ils permettent au patient d’expérimenter à nouveau du relationnel en situation réelle pour, par la suite, activer ou réactiver le réseau familial, social ou professionnel.

Dans certaines situations c’est une hospitalisation de jour qui a été proposée. Cette offre de soins spécifique comporte de multiples avantages pour les patients cyberdépendants : rétablir un rythme de vie en journée en proposant des activités de 8h30 à 16h, participer à une vie en groupe avec d’autres patients et expérimenter à nouveau les contacts sociaux, apprendre à respecter le cadre institutionnel notamment soutenu par l’équipe soignante… Pour accompagner les patients durant l’hospitalisation et les aider à retrouver d’autres perspectives d’avenir comme améliorer leur cadre de vie, retrouver un emploi, s’engager dans une formation…, nous offrons une prise en charge pluridisciplinaire : un médecin psychiatre chef de service, des assistants en psychiatrie, une infirmière en chef et une directrice administrative, des infirmières sociales, des psychologues, des éducateurs, une kinésithérapeute, une ergothérapeute…

Pour conclure et dans une perspective plutôt préventive que curative, nous tenons à rappeler l’importance d’encadrer nos enfants et nos jeunes autour de l’usage de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication et plus spécifiquement d’Internet. En effet, cet apprentissage doit prendre une place dans l’éducation et ceci dès le plus jeune âge. Pour ce faire, nous pouvons déjà nous référer au 3-6-9-12 souvent évoqué par Serge Tisseron. Ce psychanalyste français suggère que les enfants de moins de 3 ans soient le moins souvent possible exposés à des écrans, que l’enfant ne soit pas en possession d’une console de jeux avant 6 ans, que l’accès à Internet à partir de 9 ans soit encadré et accompagné d’un adulte et que l’accès à internet seul ne soit permis qu’à partir de 12 ans. Diaboliser l’outil internet, l’éjecter de nos foyers, ne protégera pas nos jeunes mais risque plutôt de les marginaliser. Accompagner nos enfants vers un bon usage prend par contre tout son sens dans l’approche éducative actuelle et future.


Ariane Lakaye
Août 2012

crayongris2Ariane Lakaye est psychologue clinicienne, formée à la thérapie systémique, coordinatrice du projet « Cyberaccros », Hôpital de Jour Universitaire La Clé, Liège. Elle y travaille en collaboration avec Jean-Marc Triffaux, psychiatre et Professeur de Psychologie médicale à l'ULg.

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