Penser la vitesse : le monde sous l'œil de Paul Virilio

C'est autour de la figure de Paul Virilio, urbaniste, architecte et philosophe autodidacte français, que s'est construit le film du journaliste Stéphane Paoli, Penser la vitesse. Ce documentaire, vaste réflexion sur la puissance de la vitesse à l'ère des nouvelles technologies, nous livre la vision d'un monde de plus en plus complexe, dominé par la propagande du progrès. Une vision théorisée par Virilio, auteur et protagoniste d'un « récit » qui n'est pas sans nous rappeler les grandes tragédies antiques.

virilio

Du naufrage du Titanic aux attentats du 11 Septembre, en passant par la Guerre froide, Penser la vitesse s'élabore à partir des grandes catastrophes qui ont marqué le XXe et le début du XXIe siècle. Des catastrophes que Paul Virilio qualifie d'« accidents », en ce sens où chacune d'entre elles constitue « une rupture dans la continuité, un instant qui ne participe ni au passé ni à l'avenir et qui est foncièrement inhabitable. » Pour l'auteur de L'insécurité du territoire (réédition Galilée, 1993) et de Cybermonde, la politique du pire (éd. Textuel, 1996), si ces événements sont indépendants les uns des autres, ils trouvent néanmoins une origine commune : le progrès technique. « Le progrès et la catastrophe sont l'avers et le revers d'une même médaille. Inventer l'avion, c'est inventer le crash. Inventer le train, c'est inventer son déraillement », constate ce philosophe inclassable, âgé aujourd'hui de 76 ans. Mais son raisonnement ne se limite pas à ce constat, faisant office de préambule au nouvel opus de Stéphane Paoli, journaliste bien connu de France Inter. Ce n'est là que le prélude d'une théorie relativement pessimiste développée, images à l'appui, tout au long de ce documentaire.

Durant une heure trente de film, Paul Virilio se lance avec conviction dans la démonstration d'une théorie aux allures apocalyptiques: la propagande du progrès mènera tôt ou tard l'humanité à sa perte. « La mise en réseau planétaire prépare la scène de l'accident intégral », renchérit la voix off. Selon Virilio, l'homme est gouverné par la technique dont la vitesse et la complexité ne cessent de s'accroître. Ce sont les nouvelles technologies, dont les capacités sont largement supérieures aux nôtres, qui régissent désormais la quasi-totalité des champs de l'activité humaine. Depuis l'invention de la bombe atomique jusqu'au bug  informatique mondial, déjà annoncé lors du passage à l'an 2000, ou la crainte de « trous noirs » lors de la récente mise en place de l'accélérateur de particules du Cern, elles font peser sur la planète la menace permanente d'une destruction massive.

Le monde « fini » de la globalisation

Afin d'asseoir au mieux ce discours quelque peu visionnaire, le réalisateur a misé aussi bien sur le fond que sur la forme dans la construction de son film. D'une part, des spécialistes issus des quatre coins du globe se succèdent afin d'étayer, chacun dans leur domaine de compétence, des propos dénonçant le terrible danger qui se cache derrière les innovations technologiques. D'un prix Nobel de la Paix à un conservateur du Louvre, en passant par des scientifiques, des économistes, des éditorialistes ou des analystes, une multitude de personnages sont conviés à participer, consciemment ou non, à la mise en scène de cette forme d'œuvre tragique. D'autre part, l'enchaînement stylisé, tantôt rapide, tantôt lent, d'images d'archives sur fond de musique inquiétante, nous renvoie la vision d'un monde chaotique dont l'homme aurait totalement perdu le contrôle : la vision d'un monde fini devenu celui de la globalisation.

Cette représentation pour le moins fataliste de l'univers qui nous entoure est évidemment incarnée par les États-Unis, première victime des revers du progrès et dont la puissance menace de s'effondrer à tout moment. Du 11 Septembre à l'ouragan Katrina, en passant par le flux incontrôlé de la finance, à l'origine de la crise des subprimes, ces « accidents » juxtaposés les uns aux autres semblent attester à eux seuls du bien-fondé de la théorie du philosophe.    

La tragédie selon Virilo atteint sans doute son paroxysme dans les derniers moments du film, lorsque que celui qui apparaît pour certains comme « un prédicateur obnubilé par l'apocalypse » dévoile sa conception de l'eschatologie: la question de la fin dernière des hommes et du monde "qui était le propre des religions, devient un problème politique".

                                                                                                                                                                                               Fatima Djelil

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