Marcel Schwob, explorateur et érudit

Qu'ont en commun, à un bon siècle de distance, Alfred Jarry, José-Luis Borges et Pierre Michon ? D'avoir éprouvé une même ferveur pour les livres de Marcel Schwob. Deux de ceux-ci, Cœur double (1891) et  Le Livre de Monelle (1894) reparaissent en poche, présentés par Jean-Pierre Bertrand.

 

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Après la réédition en 2004 des Vies imaginaires, opus majeur de Marcel Schwob (1867-1905), dans une présentation de Jean-Pierre Bertrand et Gérald Purnelle, la collection de poche Garnier-Flammarion vient de sortir en un volume deux recueils essentiels de Schwob : Cœur double, une série de contes fantastiques, teintés d'un humour presque noir,  édités en 1891, et Le Livre de Monelle, paru en 1894.  Mort de maladie à trente-sept ans,  Marcel Schwob a fait un parcours remarqué et météorique dans la presse et la littérature française « fin de siècle ».

Tout jeune, ce fils d'un journaliste républicain, propriétaire du « Phare de la Loire » à Nantes, rédige un compte-rendu enthousiaste d'Un capitaine de quinze ans, de Jules Verne. Lui-même n'en a alors que onze, et pas encore vingt lorsqu'il traduit de l'anglais Thomas De Quincey. Passionné par Robert-Louis Stevenson, avec qui  il entretint une correspondance, qu'il ne rencontra jamais, et vénéra jusqu'à entreprendre un pélérinage sur ses traces aux îles Samoa, Schwob était également grand lecteur de Poe, de Mark Twain, et de Daniel Defoe, le créateur de Robinson Crusoë et de Moll Flanders, qu'il traduisit en français. Dreyfusard, curieux des idées anarchistes, érudit de la langue française, des langages populaires, argotiques ou codés, de Rabelais et de Villon, Schwob fréquenta également les salons littéraires parisiens et les « Mardis » de Mallarmé. Il se lia tout aussi bien avec Alfred Jarry (qui lui dédiera Ubu Roi), Jules Renard, Colette, Mirbeau, Léautaud, et André Gide - avec qui il se brouillera : dans sa présentation, Jean-Pierre Bertrand rappelle que Schwob estimait avoir été plagié par Gide dans Les Nourritures terrestes, paru trois ans après Le Livre de Monelle. Et, sans conclure formellement au plagiat, il apporte des éléments qui permettent néanmoins de lire les deux œuvres en miroir, et de les éclairer l'une par rapport à l'autre.

Un adepte de la forme brève

Portrait de Marcel Schwob
par Félix Valloton
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Marcel Schwob, chroniqueur pour la presse littéraire et théâtrale, notamment à « L'Echo de Paris » et aux « Lettres parisiennes », était, comme d'autres de ses contemporains, un adepte de la forme brève : conte, nouvelle, récit court, genres qu'il a pu apprécier tant chez Maupassant que chez Poe. Mais Jean-Pierre Bertrand souligne avec à-propos la réelle singularité de Schwob par rapport à d'autres littérateurs d'alors : Il n'a pas fait de la forme brève une pratique en marge d'une grande œuvre ni un gagne-pain, mais l'a travaillée pour elle-même, sans relâche, parce qu'elle constituait pour lui un enjeu esthétique à part entière. En effet : Schwob n'a laissé aucun roman, et sa notoriété n'est venue que de ses contes et récits parus dans la presse, et qu'il rassemblait ensuite en recueils. Cœur double se compose d'une suite de contes aux personnages insolites, et aux situations qui virent vers l'incongru, l'effroyable, ou la grande loufoquerie : on songe plus d'une fois à Alphonse Allais. Le Livre de Monelle est construit autour des paroles, toute fiévreuses de révolte et d'insoumission, d'une figure féminine, Monelle, inspirée par une jeune prostituée que fréquentait Schwob. L'écriture, assez incantatoire et haletante, et sur laquelle plane l'ombre double de la mort et de l'érotisme, frappa non seulement Gide, mais également Maeterlinck et les surréalistes : Breton (dans Nadja) et Michel Leiris (dans Aurora) y firent indirectement écho. Autant dire que ces deux recueils de Schwob, replacés dans leur contexte d'époque comme dans leur postérité, méritent, pour ceux qui ne les connaitraient pas encore, la découverte.    

 

Alain Delaunois
Mars 2009

 

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Alain Delaunois est journaliste à la RTBF et enseigne la pratique de la critique culturelle au Département Arts et Sciences de la Communication. 

 

Voir aussi l'article Marcel Schwob, double, singulier et passeur sur le site Reflexions

 


 

Marcel Schwob, Cœur double et Le Livre de Monelle. Présentation de Jean-Pierre Bertrand, Flammarion, coll. GF, n° 1383, 344 p.
Marcel Schwob, Vies imaginaires. Présentation de Jean-Pierre Bertrand et Gérald Purnelle, Flammarion, coll. GF, n° 1143,  2004, 207 p.
Sur Marcel Schwob : Sylvain Goudemare, Marcel Schwob ou les Vies imaginaires, Le Cherche-midi, 2000, 342 p. 
Société Marcel Schwob : www.marcel-schwob.org