Cette année, les Nuits de Septembre fêtent leurs soixante ans. À cette occasion, le festival liégeois consacré à la musique ancienne a décidé de mettre les claviers à l’honneur. Pianoforte, clavecin, orgue, accordéon, viola organista et autres instruments plus rares encore seront au programme des nombreux concerts organisés dans divers cadres patrimoniaux de la Cité Ardente du 6 septembre au 1er octobre 2017. Pour sa part, l’Université de Liège n’est pas en reste. Partenaire historique de l’événement, elle accueillera trois concerts exceptionnels dans le décor néoclassique de sa Salle académique, dans le cadre des événements de son Bicentenaire.
Membre depuis 1971 des Festivals de Wallonie, le Festival des Nuits de Septembre reste l’événement incontournable en matière de musique ancienne dans notre plat pays. Fondé en 1957 par Suzanne Clercx-Lejeune (1910-1985), professeure de Musicologie à l'Université, le festival liégeois est parvenu à se faire un nom dans le monde de la musique allant du Moyen Âge à la fin de l’ère classique, en passant par les musiques baroques et de la Renaissance.
Un nouveau directeur artistique
Émilie Corswarem et Christophe Levaux, professeure et chercheur en Musicologie à l’Université, ont cédé la direction artistique à Stéphane Dado, chargé de mission à l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et titulaire du cycle de conférences consacré à l'histoire sociale de la musique, organisé par les Alumni.
La thématique choisie cette année, c’est le clavier. « Pour cette édition, j’ai voulu proposer au public une programmation originale et en même temps respectueuse du thème », explique le nouveau directeur artistique. « Chaque concert mettra en valeur au minimum un instrument à clavier, ce qui n’exclura pas quelques transgressions comme par exemple d’interpréter les célèbres Variations Godlberg de Bach à… l’accordéon.»
«Une autre transgression consiste par exemple à programmer un chef-d’œuvre de la musique vocale (le Llibre Vermell de Monserrat, 14e siècle) en le complétant de danses telles qu’on les pratiquait dans les églises catalanes autour de Barcelone, mais aussi d’une création contemporaine écrite expressément pour l’orgue de l’église Saint-Jacques de Liège et inspirée par le recueil médiéval. Il me paraît essentiel de faire dialoguer les œuvres de musique d’aujourd’hui avec celles du passé afin que la musique reste un art vivant et pas une pratique muséale ».
La Noeva interprétera a cappella le Llibre Vermell de Montserrat complété d'interludes pour orgue
Stéphane Dado souhaite aussi proposer à chaque édition du festival un concert qui mette à l’honneur le patrimoine musical du Pays de Liège.
Ainsi, le 1er octobre prochain, à l’occasion du concert de clôture des Nuits de Septembre, le public découvrira l’œuvre d’Arnold et Hugo de Lantins, deux Liégeois, probablement deux frères, partis en Italie au début du 15e siècle. Ils y composent notamment des chansons d’amour dans l’esprit neuf de la Renaissance. Un répertoire qui sera défendu par l’excellent ensemble suisse Le Miroir de Musique.
Voyage, chorégraphie, Léonard de Vinci et L'Orfeo
Pour ce faire, neuf concerts sont au programme, dans divers lieux patrimoniaux de la Ville de Liège, tels que les collégiales Saint-Denis, Saint-Jean ou Saint-Barthélemy, l’église Saint-Jacques, l’Opéra Royal de Wallonie et l'Université…
Parmi les concerts proposés, cinq sont inédits, conçus exclusivement pour les Nuits de Septembre, que ce soit par la présence de créations musicales, de mises en scène et chorégraphies spécifiques, par le type d’instruments que le public pourra entendre (par exemple une confrontation entre deux pianofortes d’époques différentes autour de la musique de Clementi) ou encore par la juxtaposition inédite d’œuvres anciennes pensées autour d’une thématique spécifique. À ce propos, l’ensemble Clematis retracera à la collégiale Saint-Denis les divers voyages qu’a réalisés au cours de sa vie le claviériste allemand Froberger, en sa qualité de diplomate, en interprétant certains chefs-d’œuvre que le musicien a entendus au cours de ses pérégrinations au milieu du 17e siècle.
L'ensemble Clematis. Photos DR
Les liens avec la recherche universitaire sont également présents. Ainsi, le concert donné à la collégiale Saint-Jean par le musicologue Sławomir Zubrzycki, permettra la découverte de la viola organista, instrument à clavier inventé par Léonard de Vinci vers 1495 que l’artiste et chercheur polonais a reconstitué récemment avec brio.
Sławomir Zubrzycki« Mais le concert phare reste assurément l’interprétation de l’un des premiers opéras de l’histoire, L’Orfeo de Monteverdi », précise Philippe Linck, membre des Jeunesses musicales et en charge de l’organisation des Nuits de Septembre. Une œuvre jouée à l’occasion des 450 ans de la naissance de son compositeur et qui sera dirigée à l’Opéra Royal de Wallonie par le grand chef d’orchestre argentin Leonardo García Alarcón.
Trois concerts dans la Salle Académique
Trois concerts seront donnés dans l’enceinte même de l’Université, dans le cadre du Bicentenaire de l’ULiège. Ils se tiendront au cœur de la Salle Académique, qui est, pour rappel, inscrite au patrimoine exceptionnel de Wallonie. « Cette prestigieuse Salle académique, de style néoclassique pouvant accueillir environ 250 personnes, possède une acoustique idéale pour les concerts de musique de chambre qui s’y tiendront.», estime Stéphane Dado.
Le samedi 16 septembre, sur le coup de 20h, le pianiste italien Costantino Mastroprimiano proposera des sonates de Muzio Clementi, le chaînon manquant entre Mozart et Beethoven, sur deux pianofortes historiques.
Le claveciniste franco-brésilien Bruno Procopio, spécialiste mondial de Jean-Philippe Rameau, jouera quant à lui l’intégrale de ses Pièces de clavecin en concert le mercredi 20 septembre à 20h en compagnie de la violoniste Stéphanie-Marie Degand et de la gambiste Romina Lischka.
À gauche : Bruno Procopio - À droite Philippe Thuriot. Photos DR
Pour terminer, le samedi 23 septembre, toujours à 20h, Philippe Thuriot reprendra les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach à l’accordéon. Le musicien bruxellois insérera entre deux de ces Variations une Sarabande composée par Pierre Bartholomée (qui vient de fêter ses 80 ans ce 5 août) en miroir de l’œuvre de Bach. Il s’agit là encore d’une création spécialement conçue pour les Nuits de Septembre.
Lucien Demoulin
Août 2017
Lucien Demoulin est journaliste indépendant
https://www.lesnuitsdeseptembre.com
https://www.facebook.com/lesnuitsdeseptembre/.
Les Nuits de Septembre : un festival lié à la recherche universitaire
Le festival des Nuits de Septembre voit le jour en 1957. Il s’inscrit dans la prolongation des grands colloques internationaux d’ethnomusicologie organisés par Suzanne Clerck, professeure de Musicologie à l’Université de Liège, avec Paul Collaer. Le festival a alors pour objectif d’illustrer les propos scientifiques du colloque, tout en s’ouvrant à un public large. Jean Lejeune, professeur d’histoire à l’Université de Liège et ardent défenseur de l’identité liégeoise a voulu également par la création de ce Festival revaloriser la position stratégique de Liège et de la Wallonie, et rétablir une culture wallonne perdue. Suzanne Clerck développait avec ses étudiants du Séminaire de musicologie les recherches scientifiques qui déterminaient thèmes et programmes du Festival. L’objectif était de proposer au public des œuvres inédites ou peu connues, principalement en musique baroque, interprétées par des artistes dûment sélectionnés, à la pointe du répertoire. Dans les années 80, le Festival s’est un peu éloigné de ses objectifs premiers et des travaux universitaires. Sous le nom de « Nuits transfigurées », il propose des brassages musicaux en tout genre. Mais en 1995, le Pr Philippe Vendrix et le Vice-Recteur Nicolas-Maurice Dehousse, respectivement directeur artistique et président du C.A., amènent le retour aux sources, et le festival retrouve son nom originel et reprend son rôle de trait d’union entre les recherches scientifiques universitaires et le public. Membre des Festivals de Wallonie, le festival Nuits de Septembre s’est aujourd’hui imposé dans le paysage belge comme un événement incontournable de la musique ancienne en Belgique, brassant plusieurs siècles de création, allant du Moyen Âge à la fin de l’ère classique, avec quelques expériences originales mêlant chefs-d’œuvre du passé, musiques du monde et créations contemporaines en des confrontations souvent riches de sens et de surprises. |