Laurine Rousselet, Journal de l’attente

RousseletJournal de l’attente et Nuit témoin, deux recueils que Laurine Rousselet a publiés dans une maison d’édition bretonne, constituent un fascinant diptyque. Les deux livres se ressemblent, sous leur belle couverture noire respective, noire comme l’attente trop longue, noire comme la nuit.

Il en va de même du contenu et de la forme : des deux côtés, il s’agit de poèmes courts, d’une quinzaine, environ, de vers libres, brefs et saccadés. Des obsessions textuelles et des thèmes récurrents se retrouvent également de part et d’autre et l’ensemble est recouvert de la même nappe d’obscurité féconde : un magma sous tension, qui mêle le point de vue de l’adulte et de l’enfant, du féminin et du hors-sexe, du sexuel et du spirituel pour former un long poème épique et nocturne, fort et sauvage, à la fois abstrait et presque impersonnel, organique, enfantesque, barbare, femelle, angoissant. L’écriture de Rousselet, dans ces deux livres, est corporelle, pulsionnelle, rythmée : le verbe, souvent à l’infinitif, est le mot totem de cette poésie de l’énergie et de la vitalité.

Rousselet-2Il peut donc s’agir d’un seul flux recouvrant de façon arbitraire deux livres qui pourraient n’en faire qu’un seul. Mais la description inverse pourrait tout aussi bien convenir à Journal de l’attente comme à Nuit témoin. Car la poétique de Rousselet peut être ressentie comme particulièrement éclatée. C’est alors non pas l’ensemble des deux recueils qui servirait d’unité, ni chaque recueil pris isolément – ni même les poèmes, mais, tout simplement, le vers. Et celui-ci se limite parfois à un mot : « noué », « entiers » ou « éclatant » dans Nuit témoin, « cavalée », « percée », « recrache » ou « feuer » dans Journal de l’attente.

Ainsi, la lecture de ces deux livres peut se faire d’abord de façon kaléidoscopique : dans les poèmes, certains vers, qui semblent briller davantage que les autres, s’isolent du magma comme « l’espace est une réalité mouillée », « d’avance les soleils ne m’ont jamais manqué », « ailleurs t’envoie un baiser bleu » dans Journal de l’attente et, dans Nuit témoin, « le quartier de lune cloue l’œil », « la main prend feu de la vie », « sur ma tête la nuit se jette de non-sommeil » ou « je m’inconnue », qui marque le féminin de façon rare et troublante.

Mais il est aussi possible de considérer les poèmes comme des ensembles, en étant sensible à leur rythme interne : au début, l’énergie s’accumule, au moyen d’une succession d’infinitifs occupant des vers-phrases courts et autonomes, puis, comme dans un sonnet, une flèche finale apporte une forme d’apaisement, peut-être produit par la présence d’une phrase longue qui se déploie soudain sur plusieurs vers et qui résonne parfois comme une maxime classique.

 

Laurent Demoulin

 

Laurine Rousselet, Journal de l’attente, éditions Isabelle Sauvage, 2013 et Nuit témoin, éditions Isabelle Sauvage, 2016.
 
 

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Poésie

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