Philippe Gonin, Robert Wyatt, Rock Bottom

GoninEn retraçant l’histoire de ce chef-d’œuvre inclassable de la musique dite populaire, Gonin prend soin de ne pas tomber dans le piège qui consisterait à voir dans ce disque une continuité narrative liée à l’accident qui a cloué Wyatt sur une chaise roulante l’année précédant la sortie de l’album. Comme le souligne l’auteur, « rock bottom » évoque autant les fonds rocheux sous-marins qui dominent la plage d’ouverture (« Sea Song ») que l’idée de « toucher le fond ». Et l’auteur de passer en revue les différentes phases de conceptualisation et de réalisation de l’album, sans parti pris biographique, au travers  de lectures rapprochées entrecoupées de passages consacrés à la production du disque au sens large (Gonin récolte au passage de précieux témoignages inédits de Nick Mason, producteur de l’album, et de Fred Frith, intervenant à l’alto sur le morceau « Little Red Robin Hood Hit the Road »).

À la sortie de cette analyse brève mais toujours pertinente, on est frappé par la finesse de l’analyse et la justesse du propos : de la lecture du « mirage » de refrain de « Sea Song » à celle de la gamme par tons utilisée sur « A Last Straw » (en lisant ce passage, je me suis demandé si Wyatt, à l’instar de McCoy Tyner, n'avait pas été influencé autant par l’impressionnisme de Debussy que par le free jazz de Coltrane), Gonin évoque le mystère de cette musique inclassable car située hors du temps et hors de toute catégorie ou sous-catégorie du rock progressif, genre auquel Wyatt reste associé en tant qu’ex-membre du Soft Machine. Gonin est également attentif  à l’usage presque généralisé du "double tracking" (ce qui arrive lorsqu’un même instrument jouant la même mélodie est enregistré sur une double piste et entendu simultanément avec un très léger décalage), lequel crée une sorte de sfumato musical si caractéristique du son unique de Rock Bottom.

Sans oublier les références littéraires : Gonin évoque le Bartelby de Melville, la poésie surréaliste, et  les nursery rhymes (comptines), soulignant fort justement « à quel degré la pop anglaise a été imprégnée par ces petites chansons de nurse à la fin des années 1960 en particulier (au point de devenir une référence explicite chez Genesis avec Nursery Cryme) ». 

Bref, des « détails » que seul un musicologue-musicien familier des techniques d’enregistrement en studio est susceptible de détecter (Philippe Gonin est actif au sein de différents groupes rock et a récemment signé un hommage aussi réussi qu’inattendu au Pink Floyd, A Floyd Chamber Concerto).

À lire (et à réécouter) d’urgence !

Michel Delville

Philippe Gonin, Robert Wyatt, Rock Bottom, Édition Densité, 2017, 72 p.
 

Lectures pour l'été 2017
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