Leonardo Padura, Ce qui désirait arriver (Points)
Les treize récits qui composent ce recueil de Leonardo Padura, né en 1955 à La Havane où il vit toujours, sont autant de photographies du Cuba et des Cubains, avec quelques éléments récurrents. L’Angola, par exemple, où un certain nombre d’habitants de l’île ont été envoyés en mission. Tel Mauricio, qui voudrait rentrer en passant par Madrid pour pouvoir aller admirer l’exposition Vélasquez. Ou Ernesto, impatient de retrouver sa femme même si quitter celle qui, pendant deux ans, lui a permis de supporter l’éloignement, le rend malheureux. Ou encore Elias qui, de retour de ce pays d’Afrique où il a servi comme soldat et d’où il n’était pas sûr de revenir vivant, apprend la mort e son ami d’enfance. Un autre fil conducteur est la sexualité qui donne à certaines nouvelles une charge érotique torride. José Ramon passe une nuit inoubliable avec son ex-belle-sœur dont il a toujours été secrètement amoureux. Des adolescents égrènent leurs journées et leurs nits à boire du rhum et à forniquer tout en rêvant des states. Un étudiant passe neuf nuits – pas une de plus – avec une chanteuse qui, au-delà de la fascination, avait provoqué chez lui une vraie addiction. On suit également une vieille dame inscrite à un atelier d’écriture, une pianiste de restaurant qui a fait une croix sur ses rêves de gloire ou un homme dont l’ambition de se rendre à Venise, et peut-être d’épouser une femme « grosse et vieille » qui lui permettrait de rester en Italie, est contrecarrée par une plaisante rencontre.
Traduit de l’espagnol par Elena Zayas
Robert Benchley, Les enfants, pour quoi faire ? (Wombat)
On ne louera jamais assez les éditions Wombat, fondées et dirigées par Frédéric Brument, d’avoir permis au lecteur francophone de mieux connaître l’humoriste américain Robert Benchley (1889-1945) – même si Le Dilettante a traduit deux de ses livres dans les années 2000. Avant Pourquoi je déteste Noël ? et L’économie, pourquoi faire ?, elles avaient publié Les enfants, pourquoi faire ?, réédité en format de poche. Ce petit bouquin réunit quinze textes désopilants, soulevant des questions que tout parent de pose. Comment porter un bébé ?, par exemple, étant entendu qu’« aucun parent mâle sain d’esprit ne prend jamais un bébé dans les bras de son propre chef. (…) C’est toujours une femme qui le suggère ».Comment élever son enfant selon les principes de « l’éducation moderne », en vertu de laquelle il « a le droit de s’exprimer par lui-même », étant entendu que cela peut provoquer des malentendus avec les rejetons des voisins qui ne sont « pas aussi éclairés en matière d’éducation ». Faut-il offrir un chien à son enfant, et si oui, lequel, étant entendu que ces bouts de choux « aiment attraper les animaux par la taille pour les transporter dans le foyer de la cheminée ». Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils deviennent des jeunes qui, pendant les weekends et les vacances, n’arrêtent d’entrer et de sortir de la maison, comme s’ils préparaient « quelque chose ».
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Brument
Tony Morrison, Délivrances (10/18)
« J’ai cru devenir folle quand Lula Ann a viré au noir bleuté pile sous mes yeux. » Sweetness est une mulâtre au teint clair, comme Louis, son mari. Ils n’en reviennent pas d’avoir une fille à la peau si noire. Leur mariage est brisé. Le père s’en va, sans jamais avoir touché sa fille, persuadé qu’elle n’est pas de lui. La mère l’élève seule, avec dégoût, sans lui témoigner la moindre affection. La fillette, d’une beauté renversante, va tout faire pour s’en faire aimer. Quitte à mentir, provoquant le malheur d’une autre. Ce mensonge va la poursuivre, même lorsque, devenue adulte sous le nom de Pride, elle s’épanouit professionnellement dans le secteur du cosmétique. En amour, aussi, elle est heureuse, jusqu’au départ de l’homme aimé avec ces mots : « Tu n’es pas la femme que je veux. » Comment se délivrer de ses traumatismes d’enfance ? Le onzième roman de la prix Nobel de Littérature, qui se passe de nos jours, donne alternativement la parole à ses principaux protagonistes.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferrière
Steven Boykey Sidley, Meyer et la catastrophe (10/18)
Voici un livre qui plairait à Woody Allen : même humour aux franges de l’absurde parsemé de réflexions métaphysiques ne manquant pas de saveur. L’auteur sud-africain Steven Boykey Sidley a créé un personnage de quadra qui vit à Los Angeles et qui, comme lui, joue du saxo. Tout irait bien pour lui, en fait, s’il n’avait un patron aussi odieux (il est concepteur de logiciel), s’il était vraiment amoureux de la jeune femme avec laquelle il vit (il a eu deux femmes et deux enfants), mais, surtout, s’il n’était à ce point « rongé par l’angoisse », comme il l’avoue dès la première page. Il redoute en effet l’arrivée imminente de catastrophes. Lesquelles ? Il n’en sait rien, mais mieux vaut être prévenu. Parmi ses amis les plus proches, auxquels il se confie, il y a Van, lui aussi profondément angoissé (« L’angoisse c’est mon rayon »), lui lance-t-il, et Farzad, un psy, évidemment.
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Valérie Bourgeois.
Louisa Young, Ravages (Le Livre de Poche)
Ravage reprend ses personnages là où Louisa Young les avaient laissés à la fin de Je voulais te dire: des tranchées de la Somme, Riley est revenu avec la « gueule cassée », et Peter, dévasté de l’intérieur, profondément alcoolique. Le premier épouse Nadine sans prévenir leurs familles et le couple, sincèrement amoureux, voyage en France et en Italie. Le second, plongé dans la lecture de L’Odyssée, s’éloigne violemment de Julia, la mère de leur enfant qu’il n’a jamais réellement aimée, malgré les efforts de celle-ci qui voudrait se souvenir qu’ils ont été heureux. Sous le regard désolé de Rose, sa cousine jadis amoureuse de lui et qui, infirmière pendant le conflit, entame des études de médecine. «J’ai voulu voir comment mes personnages allaient s’en sortir, ou pas», explique la romancière anglaise, dont la grand-mère sculptrice a travaillé avec le pionnier de la chirurgie maxillo-faciale. Porté par un style à la fois littéraire et spontané, parsemé d’onomatopées (hum, oh, ah), faisant la part belle aux pensées de ses personnages, Ravages traduit avec justesse et émotion la difficulté pour l’être humain de reprendre goût à la vie après une telle confrontation avec l’horreur et la désespérance.
Traduit de l’anglais par Françoise Jaouën
Ramita Navai, Vivre et mentir à Téhéran (10/18)
Longue de dix-huit kilomètres, bordée de part et d’autre de hauts sycomores, l’avenue Vali Asri, qui s’est successivement appelée Pahlavi puis Mossadegh, scinde Téhéran en deux, du nord au sud. Elle personnifie la ville aux yeux de ses habitants. « Parcourir l’avenue en voiture est un de mes souvenirs d’enfance les plus vifs », confie Ramita Navai dans sa préface. « Elle relie les riches et les pauvres, les religieux et les laïcs, la tradition et la modernité. » De parents iraniens, mais élevée en Angleterre où sa famille maternelle vivait en exil, l’auteure fut correspondante du Times entre 2003 et 2006 et rapporteur pour l’ONU en Iran, au Pakistan et en Irak. C’est donc cette avenue qu’arpentent les huit protagonistes de son premier roman. Dariush, de retour après avoir rejoint les rangs d’une organisation moudjahidine opposée à la République islamique, l’OMPI formée des « combattants de la liberté » soutenus par les Américains. Morteza, considéré comme un « raté » depuis le jour de sa naissance, garçon doux et fragile, engagé dans les milices bassistes pour s’endurcir et faire de lui un homme « respecté », à l’égal de ses grands frères. Amir, un bloggeur auquel le juge qui, vingt-cinq ans auparavant, a fait exécuter ses parents, demande de lui pardonner au nom de sa bonne foi, convaincu que ces « mécréants » méritaient bien la mort. Et encore Leyla, une prostituée qui joue dans des films pornos amateurs, Farideh, une femme divorcée, ou Ashgar, un truand du sud de la ville, « une sorte de mafia de gentilshommes ».
Traduit de l’anglais Cécile Dutheil de la Rochère