Lectures pour l'été 2017 - Poches - Essais & documents

PiccoliMichel Piccoli, Gilles Jacob, J’ai vécu dans mes rêves (Le Livre de Poche)

Le 27 décembre dernier, Michel Piccoli a fêté ses 91 ans. Il fait partie, avec Robert Hirsch ou Michel Bouquet nés quelques mois avant lui, des acteurs les plus âgés encore en activité (mais battus par Gisèle Casadesus et ses 130 ans). En activité? Si le héros des Choses de la vie ou d’Habemus papam a encore envie de jouer, il avoue avoir des problèmes de mémoire dans cet ouvrage où il répond longuement à cinq lettres que lui adresse Gilles Jacob, ancien grand manitou de Festival de Cannes, de cinq ans son cadet. Il ne s’agit en aucun cas d’une autobiographie mais d’une suite de souvenirs et de réflexions autour de plusieurs thèmes : l’enfance, l’apprentissage, le cinéma, l’Acteur (sic) et vieillir. On y apprend que Michel Piccoli a « remplacé » un frère né quelques années avant lui. Ce qui lui fait dire que si cet enfant avait survécu, il ne serait pas là. Ses parents étaient tous les deux musiciens, mais de second plan : son père violoniste dans un petit orchestre, sa mère pianiste qui donnait des cours à défaut de jouer. À plusieurs reprises, il rappelle qu’ils furent pour lui des contre-exemples : ils respiraient l’ennui alors que lui a placé toute sa vie, et sa carrière, sous le signe de la joie et de l’humour. Toujours, il a fait des blagues, y compris sur des scènes de théâtre. « Je n’aime pas l’esprit de sérieux et je crains toujours de paraître prétentieux », écrit celui dont le modèle « absolu » est Mastroianni et le contre-modèle…Yves Montand, « arriviste », « encombré du sentiment qu’il avait de sa propre grandeur ».

C’est pendant la guerre, en Corrèze, qu’il découvre le plaisir de jouer, convaincu d’être « fait pour ce métier ». Outre cette absence de sérieux, son autre ligne de conduite est le refus de la prétention, de la grandiloquence, du cabotinage. Cherchant à toujours sortir de sentiers battus, à être toujours « différent » en interprétant des œuvres diverses avec de grands metteurs en scène : Chéreau, Brook, Bondy, Engel au théâtre, Sautet, Ferreri, Oliveira, Ruiz et tant d’autres au cinéma (il a joué dans quelque 200 films). « Des œuvres qui ne laissent pas indifférents et qui au besoin font hurler », espère-t-il. Il a aussi été producteur, finissant ruiné après dix ans d’activité, et a même réalisé trois films entre 1997 et 2005.

 

DarroussinJean-Pierre Darroussin, Et le souvenir que je garde au cœur (Points)

Si, dans ce livre de souvenirs, le comédien raconte son enfance et ses débuts sur les planches, c’est la figure de son père, un étameur qui a pris sa retraite à 75 ans pour ne pas laisser en plan son jeune collègue, qui en est le fil conducteur. Communiste, profondément humaniste, cet homme bon lui a communiqué des valeurs qu’il a mises en pratique dans sa vie et son métier. Né en 1953 à Courbevoie, Jean-Pierre Darroussin évoque ses jeunes années dans un milieu populaire, son attrait pour le théâtre, sa formation au cours Florent puis au Conservatoire où il rencontre Ariane Ascaride (qu’il retrouvera devant la caméra de Guédiguian) et Catherine Frot. Il se souvient des bandes de copains (notamment la Compagnie du Chapeau rouge) et des petits boulots (notamment vendeur de journaux de droite et de gauche). Tout cela, il le raconte avec cet humour dilettante qui fait son charme et sa singularité. Mais il sait aussi se montrer plus grave et profond lorsqu’il remonte plus loin dans sa généalogie, abordant l’exode rural et revendiquant ses racines paysannes. Il s’ancre ainsi dans une histoire ancienne qui lui confère cette force intérieure et ce bon sens dont il est riche.

 

LuchiniFabrice Luchini, Comédie française (J’ai lu)

Vous aimez Fabrice Luchini ? Vous aimerez alors son livre dont le sous-titre, Ca a débuté comme ça…, est la première phrase du Voyage au bout de la nuit de son cher Céline omniprésent au fil des pages. Pour se désennuyer pendant le tournage du film de Bruno Dumont, Ma loute (sélectionné en 2016 au Festival de Cannes), le comédien égrène une poignée de souvenirs : ses débuts comme coiffeur, son dépucelage, ses cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet, sa rencontre d’Éric Rohmer avec qui il tournera sept films, suivi d’une période « chaotique » durant laquelle il se sent « méprisé ». Il est aussi question du Misanthrope de Molière (longs extraits à l’appui), de Nietzsche qu’il a lu très jeune pour faire plaisir à sa copine de l’époque, de Rimbaud et de la poésie en général, ou encore de son amour des « grands textes ». Et puis bien sûr de ses lectures-spectacles nourris d’extraits de Céline, de Philippe Muray et d’auteurs divers. Il parle aussi de lui, de son regret de ne pas être de gauche, de ses rapports aux médias, avec cette intelligence ironique qu’on lui connaît et ce style oral aux intonations familières.

 

BohringerRichard Bohringer, Quinze rounds (J’ai Lu)

Dans un style apaisé, le comédien se raconte en quinze « rounds ». « Fils de boche » élevé par sa mamie (sa mère vit en Allemagne, son père est prisonnier en Russie), il nourrit très tôt « des rêves d’artiste » et se met à écrire des nouvelles. Il raconte sa découverte du jazz à Saint-Germain, ses premiers pas sur les planches et les plateaux. Il parle de ses films, de ses rencontres (par exemple avec Mocky) et de ses voyages grâce au cinéma, de l’Afrique qu’il aime tant, de ses enfants ou des tournées (notamment en Belgique) avec son spectacle Traîne pas trop sous la pluie. Tout en livrant sa conception de la vie.

 

 

QuivyVincent Quivy, Trintignant, l’inconformiste (Points)

C’est Michael Haneke qui a convaincu Jean-Louis Trintignant, qui ne faisait plus que de la scène, de reprendre le chemin des plateaux pour Amour (Palme d’or à Cannes en 2012). Et cinq ans après, les deux hommes sont à nouveau réunis dans Happy end, présenté sur la Croisette cette année. Cette biographie très complète du comédien (âgé de 86 ans) repose sur énormément de témoignages et chaque titre de chapitre est une adresse postale. « Il est tarte ! », « C’est vraiment une petite conne ! ». C’est l’effet que se font réciproquement le jeune comédien de 26 ans et Brigitte Bardot, sa future partenaire de quatre ans plus jeune, lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois à la veille du tournage de Et Dieu créa la femme. Si le film est un succès, il faudra néanmoins attendre le triomphe d’Un homme et une femme (Palme d’or à Cannes en 1966), après un détour par l’Italie (principalement dans Le Fanfaron), pour faire passer Trintignant du statut de vedette à celui de « star internationale ». Suivrons Z de Costa-Gavras, film « fauché » dont le tournage en Algérie est longuement raconté et qui vaut à l'interprète du « petit juge » un prix d’interprétation à Cannes en 1969, Ma nuit chez Maud de Rohmer, Le Conformiste de Bertolucci,Le train de Granier-Deferre, Vivement dimanche de Truffaut, Trois couleurs-Rouge de Kieslowski (sélectionné à Cannes), etc. Il refuse certains des films, pour des raisons diverses, tels Le dernier tango à Paris, L’aventure c’est l’aventure ou César et Rosalie. Cette carrière magnifique, face à laquelle l’intéressé a cependant toujours pris ses distances (au point de penser arrêter au milieu des années 1970), est également jalonnée par la réalisation de deux films qui furent des échecs. Elle a aussi été accompagnée de tragédies, la mort de ses deux filles, Pauline en 1968 et, trente-cinq ans plus tard, Marie, avec qui il lisait des poèmes sur scène et jouait au théâtre.

 

Michel Paquot
Juin 2017

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

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